11 juin 2010

Ellroy, Françoys, Emma et l'Autre...


Photo Billy (E. T). Françoy Bernier, James Elroy.






Bon, ça va être l'anniversaire de Françoys demain, ce qui m'incite à achever le billet autour de sa rencontre avec James Ellroy il y a une semaine.











Françoys est un marcheur et un bon lecteur. Je l'imagine lire comme il marche, à vive allure, curieux de franchir les paysages littéraires. Aucune crainte de la distance. Par déformation professionnelle, il transcrit dans ses pas les cartes géographiques. Il fréquente peu les libraires. Il ne connaissait pas la librairie Monet de son quartier. C'est là qu'est venu James Ellroy.

Françoys aime le trip de s'approvisionner chez Amazon tout comme ma fille le fait parfois. Entre le « cart » rempli à coups de clics à l'écran et l'arrivée de la réalité dans la boîte aux lettres, se dégage l'espace d'un oubli. On oublie la commande. Puis un bon matin le facteur dépose un paquet, ah, oui, ce sont mes livres! Toujours l'effet d'une petite surprise aménagée juste pour soi. Les livres sont littéralement et dans tous les sens un cadeau.

Si la hauteur de la commande en vaut la chandelle Amazon coupe les frais de transport. C'est ainsi qu'un bon jour il manquait à Françoys un petit rien, une cerise sur le dimanche, pour recevoir gratos. Alors, ça incite.

Depuis un moment, le radar de Françoys faisait clignoter le nom de Ellroy. Le moment était donc propice pour ajouter deux titres, dont le Dahlia noir, complétant ainsi le paquet.

Les bouquins arrivèrent à bon port et les Ellroy qui n'étaient pas les premiers choix furent déposés sur la pile des livres à lire. Il s'écoula un moment avant que Françoys ne les reprenne. Un jour qui n'est pas si lointain, le 14 mai dernier pour être précis, Françoys laissa cette note sur Facebook :


« vient de terminer "The Black Dhalia" de James Ellroy. Fort, fort... »


Je dois ici expliquer rapidement, et tant pis si je suis gauche, que mon intérêt pour ces petites histoires d'un lecteur ami vient du fait que j'y vois à l'œuvre de part en part ce que j'appelle le chuchotement de l'Ange des livres. Que c'est ça? Ce n'est pas là ramures à gogo spiritualisées à l'Hôtel du Sexe des anges! Ce n'est pas non plus l'épée du déterminisme au-dessus de nos têtes. 


 Depuis au moins Poincaré, nous savons que l'hypothèse d'un Grand Horloger régulant l'univers n'est pas utile à la connaissance du monde. Depuis au moins le romantisme, nous savons que chacun, chacune aspire à être l'auteur de sa vie, et non pas une marionnette. Par l'Ange des livres, c'est autre chose que j'essaie de traduire, quelque chose comme une occasion, une ouverture qui s'offre à nous avec quelques coïncidences jouissives en traits de lumière, comme une craque entre deux planches qui laisse passer le plein jour, comme entre le hasard et la nécessité, Dieu seul sait pourquoi tout cela me tient à cœur. L'Ange des livres est aussi un oiseau moqueur.


J'ai seulement, mais vraiment été frappé à l'âge de 17 ans par la lecture de André Breton a-t-il dit passe de Charles Duits, une tête remplie de peyotl et de fulgurance. J'ai été frappé par une foudre euphorisante, par un train de jeune écrivain en devenir, en exil à New York. Pour dire comme Kafka, ce récit a agi comme une hache dans la glace intérieure de ma coquille. Ce fut une libération comme une belle clairière ensoleillée et baveuse qui s'illumine devant vous! C'est Duits qui m'induisit pour le reste de mon existence la certitude maintes fois révélée par la suite que l'Ange des livres souffle dans le vent the answer my friend, mais si près de votre oreille enfouie sous les feuilles et les fils enchevêtrés, c'est souvent inaudible le souffle des titres, des noms d'auteurs encore invisibles par lesquels tout à l'heure, librement, vous tomberez en bas de votre chaise. Car parmi les livres qui adviennent dans vos mains, il s'en trouvera au moins un, c'est sûr, venu directement du bonheur pour incarner la lumière que vous cherchiez sans le savoir depuis toujours. Telle est la surprenance dans la chaîne des livres et des lecteurs.

Edmond Jabès dans Le Soupçon Le Désert : « L'aventure précède-t-elle le texte ou le texte l'aventure? Et quelle est cette aventure dont s'est emparé le texte et qu'il nous contraindra à vivre, au point que nous ne vivrons désormais que son aventure devenue, plus que tout autre, la nôtre? »

Or je suis allumé wouf! wouf! comme un bon chien fidèle qui a un peu lu chaque fois que j'entends siffler la signature de l'Ange des livres. Et je donnerais cher pour fumer de temps à autre un bon Charles Duits.

Je reviens à Françoys. Il vient de terminer The Black Dhalia. Selon son propre récit, jamais il ne feuillette le journal hebdomadaire de son quartier. Jamais. Mais comme L'Ange des livres est bien ratoureux, ce soir-là, en effet, Françoys relève dans le journal local une annonce invitant les lecteurs à rencontrer James Ellroy le jeudi 3 juin à la librairie Monet! Il n'en croit pas ses yeux! À deux pas de chez lui!

Il téléphone tout de go à Emma. Les histoires de filatures et de flics intéressent ce compère au plus haut « poing». Emma est bien placé dans la société pour savoir qu'en ces domaines, la fiction déclasse la réalité. Françoys est persuadé qu'il faut traîner son ami à la librairie Monet. Tous deux réservent une place.

La rencontre a eu lieu. Les photos de l'un et de l'autre en témoignent. Françoys écrira quelques heures après :
« J'en reviens pas encore d'avoir rencontré James Ellroy dans une librairie de mon quartier! »

- Françoys à James Ellroy : "...and thanks for coming up here!"
- Ellroy : "Hey, I'm here to sell books!"

- Françoys à moi : « (...) il a été super. Il a coupé le sifflet à la petite animatrice qui prenait les questions en disant : "OK enough now, I wanna have time to meet everybody here and sign all your books, come on." Ce qu'il a fait... »

L'Ange des livres est en filigrane, on le sait, et il agit! Rien à voir avec le déterminisme. C'est du côté de l'éveillé que cela se passe. Du côté de l'être. Et les écrivains sont des voleurs de vies. Mais il s'agit d'un renversement de la vie éphémère. Dans Les deux Royaumes, Pierre Vadeboncoeur a écrit des pages magnifiques sur la fuite sans fin de nos vies :

« Le roman retient l'être un peu plus longtemps, comme une eau que le creux de la main garde; et ce retard dans la chute par ailleurs universelle du temps fait un écart suffisant pour nous permettre d'éprouver le sol des choses... »

Tout le reste n'est entre nous que littérature!


5 commentaires:

Le Seuil a dit...

Superbe modèle. J'adore ! 100 % ;-)
code: picul ;-)

Jack a dit...

Oh! J'allais le changer à nouveau... Ok je le garde d'abord.

Le Seuil a dit...

Si tu penses qu'il serait plusse meilleur ou plusse beau, change-le, comme dit mon b-p: y'a toujours de la place pour l'amélioration !

Françoys a dit...

Merci pour tes bons souhaits et pour ce magnifique texte.

J'aime bien ton explication. Je te souhaite que l'ange se pointe aussi chez toi bientôt...

Anonyme a dit...

En réalité, Françoys, théorie personnelle, je pense que l'ange se tient toujours disponible dans une espèce de discrète traction alors que nous, mon frère, nous aimons la distraction. Il ne sert à rien de forcer la note. Les livres comme les fruits mûrissent à leurs heures. Mais tu es gentil de me souhaiter le meilleur.
jack