02 octobre 2011

Spir, amitié, danse et transe en dance...










Une fois n'est pas coutume : un peu de philo.

En pensant à Jean-François Malherbe et à la Fantôme.

Définitions de départ : religion, éthique, spiritualité.





Religion
: ensemble de croyances, de rites et de préceptes qui relient l’univers de l’homme à la dimension du sacré, à ce qui le dépasse. Par exemple, dans les religions chrétiennes, on trouve le récit de la création de l’univers, la notion de l’immortalité de l’âme, la vie bonne et ce qu’il faut faire sur le plan moral pour assurer la vie éternelle.

Spiritualité : regard personnel et intime sur le monde où l’invisible ouvre un espace de significations inédit qui rehausse l’expérience propre aussi bien que la communication aux autres.

Éthique : l’éthique est ce domaine critique de l’actualisation des valeurs qui animent les personnes dans leur vie individuelle aussi bien que collective afin de se réaliser. Cela implique la mobilisation des ressources pour solutionner les problèmes du vivre ensemble et notamment l’apprentissage du dialogue entre les interlocutaires afin de co-construire la signification de l’action et justifier ce qu’il convient de faire pour le mieux dans les circonstances données.

Parmi les appréhensions de départ, j’ai mentionné que le terme transcendance n’allait pas de soi à mes yeux. D’autre part, j’ai esquissé un rapprochement entre l’expérience poétique et l’expérience spirituelle. Comme si la question de la spiritualité pouvait s’apprivoiser par l’intermédiaire de l’expérience poétique dans son éclosion de lumière, sa vivacité, sa fulgurance qui rejaillit sur le langage et la sensibilité.


Points de repères


Où en suis-je? Qu’est-ce qui s’est déplacé? Pour fins de comparaison, reprenons tout d’abord les termes de départ à la lumière cette fois des définitions (très abrégées ici) données par Malherbe.

Religion : médiation, intermédiaire entre l’humain et le divin.

Spiritualité : Rapport qu’un sujet s’autorise à la surprenance.

Éthique : travail que l‘on consent à faire avec d’autres sur le terrain pour réduire autant que faire se peut l’inévitable écart entre nos pratiques et nos affiches.


Transcendance


Dans ma compréhension, la transcendance était comme soufflée par un esprit lointain. J’avoue avoir souvent éprouvé une incapacité à suivre les enjeux philosophiques potentiels reliés à la question. Non pas que je prétende avoir traité la question de façon fouillée. Mais j’ai en tête quelques auteurs : Niestzche, Michel Onfray, un débat entre Ferry et Sponville probablement dans Une sagesse pour les modernes, où Sponville, athée, refuse toute transcendance, alors que Luc Ferry postule un «humanisme transcendantal», c’est-à-dire qu’il voit du divin en l’homme. Si ma position spontanée penchait du côté du matérialisme, à vrai dire, j’alternais d’un argument à l’autre avec une bonne dose de méfiance à gauche et à droite.

Or, il me semble aujourd’hui être en mesure d’envisager la question sous un jour complètement renouvelé.

Débarrassé de la gangue théorique aussi bien que du poids de la tradition, c’est comme si j’avais fait l’apprentissage d’un nouveau jeu de langage. En associant la transcendance à la notion de «surprenance», on fait entrer le mot de plain-pied dans l’expérience commune et intime. La transcendance n’est plus désincarnée.


Devenir soi

Partant, on comprend mieux comment le mouvement du devenir soi porte en lui ce que Malherbe désigne comme le fondement de l’éthique. Ce trait se comprend ainsi : l’objet est immanent à lui-même alors que le sujet s’échappe à lui-même. Mais plus encore, le sujet devient sujet «quand il renonce à toute appropriation possessive de sa propre transcendance». Ce jeu du sujet renvoie à l’accueil de la transcendance «comme une amie».

À l’opposé, la transcendance signifiait pour moi la disparition, l’aliénation, un état que je ne saisissais pas. S'esquisse plutôt ici la légèreté de l’être étonné, dansant, comme disait Niestzche.

Ce retournement, ce déverrouillage est heureux. J’éprouve un sentiment semblable au jour où, dans un cours d’épistémologie qui tournait autour de Popper, j’ai compris que le hasard existait, que l’univers n’aurait pas pu advenir sans le hasard et que, partant, le déterminisme qui me pesait tant était circonscrit.

L’éclairage nouveau d’un mot ne fait pas bouger que l’immédiat. Ainsi, à rebours, je peux, me semble-t-il, mieux «utiliser» la culture «spontanée» d’où l’on tire ce qui reste quand on a tout oublié, dirait Gaston Miron. Enfant de la Révolution tranquille, je pense ici aux sédiments de la culture religieuse de mes parents si bien décrite par Pierre Vadeboncoeur dans Les deux royaumes comme «altitude du regard», littéralement oblitérée dans le Québec de la «Grande clarté».

Sur le plan des idées, j’entrevoie aussi autrement l’attachement que j’ai pu avoir, jeune, pour la philosophie et ce combat anti-spiritualiste (les esprits que l’on voit dans sa soupe, disait Marx). Je constate que ce combat ne fut pas le refus de la spiritualité.


Éthique


Si je saisis bien, l’éthique débouche sur l’horizon de la spiritualité entendue comme mouvement du devenir soi «ensemble». Dans cette perspective, au-delà de la convention plus ou moins enracinée, ce mouvement fonde l’horizon même de l’éthique. «Le but de l’éthique est que chaque sujet crée chaque jour son propre sens, sa propre façon de devenir plus humain» (J.-F. Malherbe, Le nomade polyglotte, p.157)

Je me suis senti pris de court d’avoir si peu à dire sur l’éthique après tout de même une longue fréquentation de la matière. Pourquoi tant hésiter? Est-ce parce que ma réflexion et mes études ne sont pas directement en lien avec ma réalité professionnelle?

Pour l’heure, en complément de l’éthique comme apprentissage du dialogue et actualisation des valeurs, j’aime emprunter cette définition où l’éthique est vue comme une discipline critique, systématique parce qu’elle vise tout l’humain, et fondationnelle parce qu’elle donne sens au mouvement universel du devenir soi.


Cheminement

Accueil de la transcendance, pardon en regard des blessures de l’humain, détente, confiance, travail avec les autres, respiration d’un terme à un autre dans un regard plus unifié, déboulonnage du mirage des valeurs affichées, perception de l’existence des jeux de langage comme mise en scène de différentes forme de vie, mouvement universel de l’autopoiësis de l’homme, voilà en quelques mots ce que je retiens de mon contact avec Jean-François Malherbe.


Dieu


Resterait un mot à dire sur la question de Dieu. La religion m’apparaît plus que jamais comme une création littéraire, un récit, une espèce totem (Freud) pour saisir la figure innommable de Dieu. C’est la question même de Dieu qui est importante, avons-nous dit, non la réponse à cette question.

Ce que je retiens pour l’instant tient à cet énoncé : la transcendance ne se dissout pas sur l’horizon de la mort. Les conditions de finitude du voyageur éphémère n’épuisent pas ce que j’appellerais, faute de mieux, les percées éternelles, ces tentatives pour faire entendre «ce qui dépasse l’homme». Suivant Spinoza, ce qui dépasse l’homme n’est pas une entité distincte de l'homme.

A. Dhôtel qui préface le Guide de nulle part et d'ailleurs... (Guadalupi et Manguale), écrit comme en écho : «ce qui compte, ce n'est pas l'existence ou la non-existence, mais le voyage lui-même (...) Voyager, c'est seulement passer et regarder autour de soi, pour saisir dans la profondeur les éclats de l'imaginaire et du réel tour à tour... » Il y aurait là un lointain, un présent autrement esquissé, une manière différente d’envisager la mort.

J’ajouterais ici que l’intuition en regard de la poésie (le faire, l’art) comme figure emblématique du lien à la spiritualité, à cause des éclats justement, me semble tenir debout comme un phare. Que veut-dire un Kandinsky avec son «spirituel dans l’art», sinon qu’il y a du spirituel dans l’Homme? L’art «accompagne ceux qui ne savent pas ce qu’ils sont, c’est parce qu’ils ne savent pas qu’ils créent» (Michaël La Chance, Les penseurs de fer, p. 71).

Se tenir dans la question de Dieu pourrait donc, en un sens, renvoyer à l’apprivoisement de la distance et de l’invisible. L’expérience de l’amitié est parlante à cet égard : passerelles jetées vers l’autre, cet inconnu habité par toutes «ses petites morts successives» mais aussi, par la continuité de son «regard bienveillant», promenades incertaines qui laissent des traces à l’ombre du doute dans les sillons les plus lumineux de notre rapport à la spiritualité.

Sur ce thème très riche et en guise de mot de la fin, je propose un extrait de l’Amitié de Blanchot. La sévérité joyeuse à l’oeuvre ici me semble jouer comme un accompagnement, comme un accord majeur en rappel de ce qui nous fut livré ici dans ce cours de Malherbe.

Blanchot :

«Nous devons renoncer à connaître ceux à qui nous lie quelque chose d'essentiel. Je veux dire, nous devons les accueillir dans le rapport avec l'inconnu où ils nous accueillent, nous aussi, dans notre éloignement. L'amitié, ce rapport sans dépendance, sans épisode et où entre cependant toute la simplicité de la vie, passe par la reconnaissance de l'étrangeté commune qui ne nous permet pas de parler de nos amis mais seulement de leur parler, non d'en faire un thème de conversations, mais le mouvement de l'entente où, nous parlant, ils réservent, même dans la plus grande familiarité, la distance infinie, cette séparation fondamentale à partir de laquelle ce qui sépare devient rapport. Ici, la discrétion n'est pas dans le simple refus de faire état de confidences - comme il serait grossier même d'y songer, mais elle est l'intervalle, le pur intervalle, qui, de moi à cet autrui qu'est un ami, mesure tout ce qu'il y a entre nous : l'interruption d'être qui ne m'autorise jamais à disposer de lui, ni de mon savoir de lui, fût-ce pour le louer, et qui, loin d'empêcher toute communication, nous rapporte l'un à l'autre dans la différence et parfois le silence de la parole.»


Questions

1) Dans un échange récent avec Michel Garneau autour de son plus récent recueil de poésie, il écrit : «ce que les gens appellent spiritualité, c’est l’instinct, l’instinct qui veut l’être qui veut que l’être soit/ qui veut que les bébés se fassent /et que l’espèce survive nous ne voulons que le plaisir/ mais l’instinct est spiritualité/ ça nous enrage mais l’instinct est spiritualité et ne cherche que le miracle de la naissance... (extraits du Museau de la lune). Le miracle de la naissance nous fait penser à la surprenance. Mais l’instinct? Instinct de vie, instinct de mort, instinct de conservation. Est-ce que la surprenance ne s’en fait pas accroire parfois alors que c’est le museau de l’homme qui tient l’aiguillon?

2 ) Hannah Arendt est contemporaine de notre expérience. Son analyse de la guerre du Vietnam souligne avec force que le totalitarisme n’est pas un épisode condensé, passé. Arendt pose le lien entre l’inaptitude à penser et le problème du mal, relayé par la tromperie, le mensonge. etc. Elle nous pousse dans le dos quand elle déclare que nous n’avons pas encore consenti à être d’authentiques citoyens (p.25). Arendt trace donc la voix d’un engagement philosophique radical et urgent. Peut-on dire que l’éthique contemporaine prend en compte de façon significative la complaisance qui aliène le devenir soi?

3) Il faut que l’esprit devienne aussi visible que la matière et la matière aussi lumineuse que
l’esprit. Appliqué au devenir soi, on parle de «l’assomption de la lumière ». Est-ce que de tels énoncés sur l’esprit sont bel et bien synonymes de la force qui passe à travers moi? Dans ce cas, la lumière est-elle toujours incarnation?

4) Dans un commentaire sur Maître Eckhart, on peut lire que «... la véritable nature de l’humain réside dans cette part de divin qui le vivifie.» (Recueil, p, 88). Si j’ai bien compris l’articulation de la spiritualité avec Dieu, le divin (faute de mieux) est la lumière?

5) Si l’esprit est cette force qui nous traverse, à part d’apprendre à accueillir la surprenance comme une amie, est-il exact de penser que la lecture des philosophes matérialistes en particulier (et Spinoza notamment) constitue un parcours précis pour approfondir son rapport à la spiritualité?

6) Peut-on dire en paraphrasant Wittgenstein que les limites de ma pensée sont les limites de mon rapport à la spiritualité?

Université de Sherbrooke, automne 2006.

Nota bene : je prendrai la précaution oratoire de dire que ce texte, grandement inspiré d'un travail universitaire fait dans le cadre d'un cours de niveau maîtrise à la Chaire d'éthique appliquée de l'Univ. de Sherbrooke, se dissocie radicalement de toute espèce de « politique religieuse » visant à encarcaner et à imposer des comportements prescrits par les corps doctrinaux des religions et tels que gérés par « des intermédiaires » de Dieu, prêtres, imams, rabins, gourous... La croyance est affaire personnelle et le rapport au sacré dont il est question plus haut ne saurait se définir sur le plan des obligations et des convenances, encore moins de l'imposition intégriste qui fait surnoisement rage un peu partout dans le monde d'aujourd'hui. En l'occurrence, presque toutes les religions ayant pignons sur rue ont rapetissé les femmes jusqu'à nier et dénier leur corps . Cela est arriéré mental et est profondément condamnable.


Photo : origine inconnue. Je m'en excuse.

5 commentaires:

Anonyme a dit...

j'adore prendre le train
méditer entre pylônes tendus
comme le jeu des fils entre les doigts
et les éoliennes brassant ce qui reste à penser
je vois parfois quelques routes qui se perdent
des animaux sauvages familiers
des îlots de bâtisses imbriquées noyés dans des champs sans limites
j'y retrouve comme les gouttes de pluie ascensionnelles sous l'effet de la vitesse
le désir de vous retrouver
alors que le voyage est toujours inconnu

Unknown a dit...

Seule la Gnose véritable, cette flamme qui lentement s'allume dans l'être, et qui a souvent été comparée à un appel de Dieu, mène à la véritable transcendance. Malheureusement, certains, comme moi, ont passé 40 ans à fouiller la planète à sa recherche, et ce n'est que le jour ou fort heureusement j'abandonnai cet intense quête, qu'elle me fit son petit signe de la main. Depuis rien n'est plus le même...

Je te l'ai dit Jacques, et je le redis, cela non seulement existe, tu connais des gens qui en sont, j'en suis, et je ne me retournerai jamais le dos au Créateur, cet Appel, est bien plus puissant que ma petite volonté d'homo sapiens sapiens....

En fait, tout ce qui touche l'âme, le fait dans une simplicité dénudée de nos mots, nos termes abracadabrants, nous sommes de simples animaux dotés d'un oubli des plus complexes, afin de parfaire nos expériences dans les cerceaux de feu de l'illusion d'ëtre.

Que la Paix, la Lumière, et l'Amour Fulgurant
Soient avec vous!

Amitiés sincères

Jack a dit...

« Seule la Gnose véritable...»...
Faudrait saupoudrer là-dessus un peu de saletés documentées, cher Dan.

Unknown a dit...

Imagine seulement qu'avant cette incarnation
Nous ayons eu un petit meeting etherique avec les nôtres afin qu'ils acceptent d'agir tels qu'ils le font
Pour nous aider à parfaire ces lourdes leçons que sont celle de la 3d
Donc nous avons chacun choisi excatement ce qui est en train de nous arriver à chaque instant
Cela suppose un changement d'attitude
No more Victimite grave et aigue
No more petit Jesus CRUCIFIÉ
More like Jim Morrison et Bouddha
Un joint au bec
La réalité Déique
Des lois simples
En commeçcant par karma 101
simple simple simple
tellement qu'elles demandent un long détour, jacques...
Sinon pourquoi embrasserais-je la prêtrise à 50 ans?

Unknown a dit...

Est-ce qu'un homme simple pourrait se tromper à ce point-là?!