On lit souvent sans lire, comme on regarde sans voir. Il arrive cependant qu'on lise autrement ce qu'on a lu vingt fois, ce qu'on croyait à peu près bien cadré. Il y a du Gadamer et de l'herméneutique là-dessous.
J'aime revenir assez régulièrement à ce cher oiseau rare, Arthur. J'ai eu le bonheur de recevoir de mon ex-beau-frère à un Noël très lointain les Oeuvres complètes de la Pléiade (Gallimard 1972). Certaines pages en papier bible sont un peu gondolées à la suite d'un dégât d'eau. De la pluie involontaire s'est noyée dans la bibliothèque. Ça me fait toujours de la peine de le constater lorsque je saisis à nouveau mon livre. Mais ça ne compte pas trop. Même un peu magané tout Rimbaud est là.
Tantôt, je feuilletais les premières pages de Vivre ne suffit pas (XYZ, 2011) du grand Jean Désy. Puis voilà qu'il cite un passage des Iluminations. Je le lis, et ça me donne une claque dans la face. Je courre chercher mon volume pour situer l'avant et l'après, car, Dieu sait pourquoi, je l'aime trop ce passage. Il s'agit de la partie iv de l'Enfance. C'est magnifique et triste. C'est rural.
« Je suis le saint, en prière sur la terrasse, — comme les bêtes pacifiques paissent jusqu'à la mer de Palestine,
Je suis le savant au fauteuil sombre. Les branches et la pluie se jettent à la croisée de la bibliothèque.
Je suis le piéton de la grand'route par les bois nains; la rumeur des écluses couvre mes pas. Je vois longtemps la mélancolique lessive d'or du couchant.
Je serais bien l'enfant abandonné sur la jetée partie à la haute mer, le petit valet suivant l'allée dont le front touche le ciel.
Les sentiers sont âpres. Les monticules se couvrent de genêts. L'air est immobile. Que les oiseaux et les sources sont loin! Ce ne peut être que la fin du monde, en avançant. »
p. 124.
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