15 mars 2013

« En désespoir de Rose »


Humble esquisse de rien, historiette, brindille. Tristesse comme un lac un peu noir entre soi, la fin du jour et le monde. L'annonce de la mort de Paul Rose m'a fait spontanément ressortir, et je ne suis pas le seul, La constellation du lynx de Louis Hamelin (Boréal, 2010). Bonyenne, qu'un cinéaste se saisisse de ce roman!

C'est comme un réflexe pour conjurer un sentiment diffus sur le tragique de cette histoire écartelée entre le tabou des autorités qui savaient et celui d'une gauche revendiquant le patriotisme d'une débarque. Scandale politique d'une part, sombre dérapage d'autre part.

Pour chercher surtout à mieux comprendre pourquoi cette misère à voir plus clair? Il y a encore beaucoup de matière qui nous échappe de cette histoire-là, soutient Hamelin.  

Il faudrait aussi repérer La vigile du Québec de Fernand Dumont que j'ai lu, bien trop à bonne heure, à l'âge de 18 ans, au lendemain de la Crise.

J'aimerais tout aussi bien avoir sous la main mon exemplaire de l'Amélanchier (1970) de Jacques Ferron que j'ai donné à un ami, mieux lire dans ses écrits divers la fulgurante intuition de la politique secrète du Ciel de Québec. 

Par son coup de patin littéraire, Hamelin est bien dans la suite de ceux qui prennent le taureau par les cornes. Celui du piège. L'histoire officielle et ses ficelles. Il a estampé dans « ma » mémoire collective, si cela peut se dire, le sacrifié humanisé, spectre et ange, ce revenant entre les deux rives d'un fleuve qui s'agrandit et qui va toujours revenir dans la nuit québécoise, même en plein bois d'arrière-pays de l'Abitibi, au milieu des flammes de la maison qui brûle et qui hurle. De Léon Portanqueu au Chevalier Branlequeue, de Ferron, Vallières, Miron, de Roman Li'Magination, de la collusion du jour au bon vieux financement ramifié des partis politiques dans les clubs select et mafieux des années 1969... 

Mais enfin, comment faire pour en venir aux faits, pour prendre la mesure entre eux et soi-même, et je ne parle pas ici du « je » qui achalait Rose et dont le point de vue sur l'indépendance du Québec pour tous, riches et pauvres, reste un des plus cohérents qui soient, et sans non plus pour autant mettre à la porte des idées qui nous interpellent comme ceci de l'auteur de L'homme révolté : la violence ne se justifie pas moralement?

Car là où je rejoins Hamelin, c'est l'incapacité de ne pas tenir compte du tragique de l'histoire : la mort de Pierre Laporte non racontée par les historiens. Je ne me suis jamais permis d'oublier, dira Hamelin, qu'il s'agit finalement de la mort d'un homme et « que le vrai héros de la crise d'octobre, c'est Pierre Laporte. »

Mais entre la chair et l'os, malgré moi, malgré moi... la colère... Car le tragique, c'est aussi l'histoire occultée, la difficulté à faire des liens.  « Ce qui est important au-delà d'octobre, a dit Paul Rose, c'est le changement social. »




Sur la surface tangible, documentée et éclairée de nos archives nationales, que trouverons-nous demain pour mieux nous aimer?

Ce qui peut, en tout cas, aujourd'hui être lu avec profit, c'est l'excellent texte de Jean-François Nadeau paru dans Le Devoir de ce matin. Texte exemplaire en tous points qui donne à lire le contexte, la toile de fond, la juste part d'un homme « dans la grande chaîne de la vie ». En désespoir de Rose en est le titre. Faute de mieux. En l'absence d'une autre possibilité qui se serait offerte si... Dans les circonstances données de notre histoire. Mais quelle histoire?  Pourquoi, pour qui l'espoir était bloqué en 1970?

Paul Rose en 1980 : « Pourquoi ces voies démocratiques là étaient bloquées, pourquoi? »*

Paul Rose, le solidaire à jamais : « L’indépendance, c’est l’affaire de tous. Des pauvres, comme des riches. Il s’agit d’un projet de société visant le respect des travailleurs et la fin d’une économie froide et inhumaine. »


*Dossier Paul Rose, l'Aut'Journal, transcription d'une entrevue de Paul Rose à Marc Laurendeau, Télémag, Radio-Canada, 30 septembre 1980.


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Marguerite Cyr, Le retour aux origines : mémoration et imaginaire dans l'Amélanchier de Jacques Ferron, thèse de maîtrise en études littéraire (UQTR,1998)

Julien Paré, (Chronologie) Le Front de libération du Québec, Le bilan du siècle, Univ. de Sherbrooke, 2005

Odile Tremblay, À chacun son Octobre, Le Devoir, 2 octobre 2010,

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