10 avril 2013

Le Saint-Esprit de Madame Thatcher

Le décès de la Dame de Fer a fait remonter à la surface de la broue des médias en majorité complaisants l’une de ses déclarations typiquement « libérale » et manifestement pas moutonnière aux oreilles des timoniers du régime : « Nous sommes arrivés à une époque, s’exclamait-elle dans un élan d’extrême lucidité, où trop d'enfants et de gens [...] rejettent leurs problèmes sur la société. Et qui est la société? Cela n'existe pas! Il n'y a que des individus, hommes et femmes, et des familles. » 

Ici, l’atome « famille » résiste au fond de l’éprouvette, mais c’est le vide sidéral, c’est beaucoup d’air soufflé dans la crème glacée molle des mille et une institutions qui émergent et fleurissent au sein d’une société que l’on croyait, selon les prétentions de la sociologie, en mouvement, en deçà sans doute de la main invisible puisque, répétons-le sans arrogance, la société n’existe pas. Partant de cette logique à tout casser qui dépasse de plusieurs têtes une autre phrase célèbre de John F. Kennedey, on ne voit pas comment ces superfétatoires institutions pourraient avoir le début de l’ombre de l’appétit à vouloir transformer les humains vivant dans un si paisible paysage néolibéral. 

La famille? Elle n’habite qu'accessoirement un quartier, une ville, un rang, un hameau, une région, tout cela étant grenaille insignifiante. Les enfants, ces trop nombreux chialeurs, vont à l’école, mais ne réalisent-ils pas qu’ils sont des clients en herbe? Les parents ne bossent pas en tant que producteurs associés dans un bureau, une manufacture ou sur une terre agricole. Chacun est « libre libre libre», seul sur son île dorée. L’île Chez Maxime. L’Île Paradis. Personne ne se parle au-delà d’une langue familiale. La culture est privée et pas encore assez privatisée. Tant de vieilles chicanes traînent dans la mémoire que l’on disait à tort collective. Vu le tas de droits individuels, personne n’a à rouspéter. Tous les « je » ont le devoir moral et naturel de tirer leur épingle du jeu. Tel serait le stade actuel incarné de « notre » évolution!  

Mais de quel jeu s’agit-il? Dans ce lexique, ne confondons pas « société » et « État ». Ne cherchons surtout pas ce gros mot de « communauté », puis ce petit mot long de « communication » qui en découle, qui rebondit parfois, misère, jusque dans la marge des livres qui osent mettre en commun le communautaire… 

Communauté? Sur son blogue, le philosophe français Denis Collin suggère la définition suivante : « Terme déprécié en même temps que le “communautarisme”. Mais terme déprécié à tort : la république est une communauté politique. Le libéralisme est anti-communautaire puisqu'il ne considère que les individus isolés menant des existences séparées. Mais Aristote, Spinoza ou Marx nous conduisent au contraire à retenir la définition de l'homme comme zoon politikon, animal politique. Et par conséquent existant véritablement à travers des communautés politiques. » 

En conclusion? Comment dire comme dirait le poète Roland Giguère? Comme tout s'écroule. Que la main du bourreau finit toujours par pourrir.


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cf. Lévesque, Claude,  Margaret Thatcher 1925-2013 - Le néolibéralisme incarné, Le Devoir, 9/04/2013 

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