22 mai 2014

Le Train de nuit de Pablo


« [...] Aïe! petit étudiant
tu changeais
de trin et de planète,
tu entrais
dans de pâles cités de brique crue,
de poussière jaunâtre et de raisin.
À l'arrivée en gagre, des visages
à l'emplacement des centaures
n,amarraient plus des chevaux mais des voitures,
les premières automobiles.
Le monde se faisait plus doux
et quand
je me pris à regarder en arrière,
il pleuvait
et mon enfance se perdait.
Le Train strident entra
à Santiago du Chili, capitale,
et alors je perdis les arbres,
des faces blêmes
descendaient les valises; je vis pour la première fois
les mains du cynisme :
je me mêlai à une foule qui gagnait ou perdait,
je me couchai dans un lit qui n'avait pas appris à m'attendre,
fatigué, je dormis comme une souche,
et je sentis, à mon réveil,
une douleur de pluie :
quelque chose me scindait de mon sang
et quand je sortis, apeuré, dans la rue,
je sus, car je saignais, 
qu'on avait coupé mes racines »
- Pablo Neruda, extrait de Le train de nuit, Mémorial de l'Île noire (1964) , trad. C. Couffon, in Pablo Neruda, Poètes d'aujourd'hui, Seghers, 2004, pp. 242-243.   

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