06 janvier 2015

Ferronnerie de grand chemin pour casserolles lumineuses

Je ne sais pas. La lecture n'est ni une souffrance, ni une grâce. C'est peut-être une espèce de piquerie dans une « bulle de silence », pour dire comme Laferrière. Pour la piquerie, je pense à ma mère qui se trouva désolée qu'une de ses connaissances se fût un jour mise à lire à journée longue, négligeant ainsi sa besogne de ménagère. Le philosophe feu Roland Houde a arrangé cela à sa manière québécoise et universelle de savants qui doivent savoir : les livres, a-t-il dit un jour en conférence au Collège de Sherbrooke, c'est comme les tomates, on peut les apprêter de mille manières! M'est avis qu'il faut parfois quand même « mériter » ses lectures et les laisser mijoter une secousse. À la première plonge dans Le ciel de Québec du Docteur Ferron vers 1977, je ne m'entendais pas avec les voix croisées des corneilles et des ecclésiastiques des premières pages. Il a fallu m'adoucir l'esprit. Ça m'a quand même pris 37 ans avant d'accueillir, l'été dernier, ce fabuleux roman qui figure désormais dans les hauteurs de mon palmarès. Un régal! Avant Noël j'ai terminé Le salut de l'Irlande. Questions mondaines et en décalage des narquoiseries géniales et élégantes, j'aimerais ça être petit oiseau ou un renard qui parle pour voir comment les têtes de Turc de l'écrivain ont pu réagir sur le coup à la lecture de l'aigle aux yeux mélancoliques. Est-ce que, par exemple, les proches de Saint-Denys Garneau ont lu Le ciel qui est dédié à sa mère Hermine Prévost? Et l'entourage de Borduas, le fils exclu, l'a-t-on reconnu dans le purgatoire peinturluré? Gilles Marcotte? Anne Hébert? Est-ce que le très bleu duplessiste académicien et historien Robert Rumilly a vu de son vivant qu'il mangeait un franc coup de pied au cul le faisant atterrir dans un tas de fumier du lointain Farouest dans le conte de La vache morte du canyon? Est-ce que la paroisse québécoise qui penche souvent à droite repense ces jours-ci un peu à sa « grimace de putain austère »? (La vache... in Jacques Ferron Contes, PUM, 1998, p.99). 

Pour bien faire, je renvoie les tomates aux grands lecteurs.



« Ferron marche droit en faisant beaucoup de détours : par là, il s'éloigne de la norme qui consiste à marcher tout croche en suivant beaucoup de droites. » — Philippe Haeck


Photo Jacques Desmarais. Archives personnelles.

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