12 décembre 2015

Paul Chamberland, le survivant antérieur



« Ça ne te suffit pas, bête humaine? »
— Paul Chamberland, Nuit de la poésie, 1970

J’ai passé quelques moments cet après-midi à la libraire de la Coop de l'UQÀM. Juste pour fureter! Je dois traverser une période stricte de rédaction d'ici le Jour de l'An, moine en service commandé. Déjà bien assez délinquant comme un étudiant en fin de session! Alors, pas de tentations supplémentaires! Ça serait trop beau lire à journée longue et même une bonne partie de la nuit. Et quand bien même j'aurais cette liberté, ne conviendrait-il pas d'achever tout d'abord les lectures en cours, entre autres Barcelona! du belge Grégoire Polet (Gallimard, 2015) et Le murmure signifiant que j'aime beaucoup de Michel Morin (Les Herbes Rouges / Essai, 2006)?

N'empêche, tout à l'heure l'Ange des livres à la librairie m'a fait feuilleter juste un peu, mais juste assez pour en saisir la gravité et souhaiter ajouter sur ma liste le récent essai de Paul Chamberland : Accueillir la vie nue face à l'extrême qui vient (VLB, 2015).

La vie nue? Dit, consenti en un seul trait traversé en filiation par la douleur de Robert Antelme cité par Chamberland, c'est l'espèce humaine réduite à une condition de paria, à sa stricte survie biologique. C'est Auschwitz mur à mur sur la Terre entière.

Ce n'est pas de la dernière pluie acide que ce professeur, poète-philosophe et essayiste (au sens fort du terme, celui qui met en jeu pour lui-même la pensée) hurle son indignation contre les forces de destruction de l'humanité. En témoigne cet extrait de la célèbre Nuit de la poésie de 1970 où le jeune Chamberland dit ce qu'il voit. Que voit-il alors? Il voit deux peuples vivant l'un dans l'autre, mais dans  des sens opposés : le peuple des porcs et le peuple des enfants. Il voit le système, la maudite machine comme on disait en ces années de contestation planétaire. « Que l'Homme soit! Let it Be. »

Dans un échange avec David Cantin (Le Devoir, Paul Chamberland, dire l'insupportable, 13/04/2003) à l'occasion de la parution du recueil Au seuil d'une autre terre (Éd. du Noroît, 2003) et de quarante ans d'écriture, le poète déclarait avoir éprouvé l'anxiété planétaire : «  «[...] le travail de la pensée n'est-il pas de supporter l'embarras en ne déniant pas ce qui échappe à l'expérience avérée — justement parce qu'il y a expérience?».  
Photo Jacques Desmarais, Paul Chamberland, soirée de la revue Exit, Lion d'Or, 13.10 2015. 
Le Chamberland de 2015 vieillit comme tout le monde sur une Terre dévastée où le point de non-retour a été franchi! C'est entendu! Voilà ce qu'il voit, voilà ce qu'il prend la peine de dire le 23 juin 2015 lors du lancement de son essai. Le piétinement et la cupidité des puissants en coulisse  de la COP de Paris font partie du portrait de la famille qui se demande encore à minuit moins une s'il faut vraiment inviter tout le monde à la table? Mais qui va payer? 

L'extrême qui vient? Qu'est-ce que c'est ça?  Et que faire?

Cette question est piégée, tranche Chamberland. L'heure est à formuler avec une gravité épouvantable une injonction éthique à l'égard de la pensée : prendre la mesure jusqu'au bout pour nos descendants de la terrifiante éventualité « où il n'y aurait rien à faire »!

Laisser toute la place à un autre avenir, combien sommes nous sur la Terre à fomenter cette urgence de renversement, se demande Chamberland qui fait « le pari, même endeuillé, de l'espérance »?

Ces propos liminaires trop rapidement glanés crèvent quelques prétentions dans la soucoupe des bobos éveillés. Ils interpellent au plus câlice, que je me suis dit en moi-même.


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