Photo Jacques Desmarais, Béthanie, 13 mars 2016. |
Roméo Bouchard : Le GOÛT d'un PAYS...
« Je sors de deux jours de tournage avec mon fils, pour un long métrage documentaire de Francis Legault sur LE GOÛT D'UN PAYS, sous un froid hivernal sans doute typique des exrêmes d'un climat surchauffé: le sirop d'érable et la cabane à sucre comme marqueur de l'identité d'un peuple modelé par l'hiver, qui se reconnaît dans ces peuplements nobles et fragiles de grands érables centenaires qui rougissent à l'automne et marquent la fin de l'hiver avec leur sucre magique devenu le SUCRE DU PAYS, et dans ces feuilles en dentelle qui sont devenues le symbole que l'occupant nous a dérobé, comme tout le reste, y compris le nom de Canada et Canadiens qui servait depuis les débuts à désigner ces bizarres de Français méconnaissables après les hivers passés dans ce pays du froid.
Cette cabane à sucre bâtie de nos mains et cette érablière dont nous connaissons, mon fils et moi, chaque arbre, est notre chez nous et ce qui nous reste du Petit Pays où je suis revenu refaire mes racines et ma tête, mais elle n'est déjà plus qu'une épave, un iceberg perdu en train de fondre dans l'océan de consommation et de facilité qui est en voie de submerger notre planète, une sorte d'arche de Noé comme celle de la Bible: "on mangeait et buvait, prenait femme et mari, jusqu'au jour où Noé entra dans l'arche et les gens ne se doutèrent de rien, jusqu'à l'arrivée du déluge, qui les emporta tous."
Je suis plus convaincu que jamais que l'industrialisation et la commercialisation mondiale du sirop d 'érable sont en train de dissoudre et de réduire à un folklore cette identité forgée au cours de toutes ces années à préparer l'hiver et à lui survivre. Le sirop d'érable n'est déjà plus le temps des sucres, la cabane à sucre et les réserves de sirop pour l'année: c'est désormais 43 millions d'entailles, 7300 entreprises, 13 500 acériculteurs, 10 000 emplois, qui rapportent près d'un milliard par année à notre PIB et constituent un de nos plus importants produits d'exportation.
Quand je me suis battu, au début des années 2000, avec 400 acériculteurs de l'arrière-pays qui ne voulaient pas de contingentement et d'agence de vente obligatoire dans le sirop, je ne réalisais pas jusqu'à quel point c'était le début de la fin de l'érable comme marqueur de notre identité. Le marché a été stabilisé, mais le rapport au pays et à la Nature est disparu.
Je ne réalisais pas jusqu'à quel point le rouleau compresseur du libre-échange commercial allait rapidement dissoudre partout les cultures et les identités dans la grande soupe toxique du marché et du PIB et entraîner la planète dans un dérèglement général.
Plus que jamais je dis qu'il est temps de réaliser que nous ne survivrons pas, comme peuple et comme espèce, au libre-échange.»
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