C'est nécessairement hors contexte puisque je glane la citation qui suit d'une correspondance entre
André Major et
Pierre Vadeboncoeur. Ces deux grands écrivains québécois échangeaient dans le sillage de la parution à venir de
Indépendances (L'Hexagone/Parti Pris, 1972) de Vadeboncoeur, un essai que j'avais commandé au libraire à sa parution; j'étais alors étudiant au CEGEP, je ne sais trop quelles antennes brûlantes de mes 19 ans m'avaient attiré chez Vadeboncoeur, mais je me souviens avoir dévoré ce livre en une nuit! C'est un livre traversé par l'inquiétude d'un père à l'égard de ses enfants et de ces milliers de jeunes faisant partie de ma génération, mais je ne voyais rien de cela à l'époque. Je ressentais seulement une parole profonde, actuelle, en connivence qui éclairait ma propre contestation, et la soif virulente de s'exprimer par la poésie.
J'aime en elle-même pour retrouver l'ambiance de ces années 1970 la perception entre les lignes de Major à propos justement du jeu de la poésie qu'il voit à l'oeuvre, pour sa part, dans les réserves argumentatives de Vadeboncoeur. Ayant sans doute eu accès au manuscrit, en décembre 1972, il écrit ceci à son ami : « J'ai hâte de voir Indépendances dans son habit de soirée. C'est, je le répète, une façon très neuve de faire éclater la pensée classique, logique et par conséquent étroite. Et seule la poésie détruit le cercle étouffant de tout systématisme, peut-être parce qu'elle est, en soi, une vision intégrale et inassimilable. »
— André Major, Pierre Vadeboncoeur, Nous retrouver à mi-chemin, correspondance (1972-2005) et autres textes, coll. Papiers collés, Boréal, 2016, p. 39.
Une analyse des essais de Vadeboncoeur par
Daniel Tanguay en 2003 signale le trop-plein d'idéalisme à l'égard de la folle jeunesse d'hier. Peu importe, il n'y a pas seulement eu tapage et dérives — je pense entre mille exemples aux extraits documentés des interventions diverses de la « contre-culture » au Québec par les frères Jean et Serge Gagné,
Une semaine dans la vie de camarades,
production Cocagne (Les Productions 89), 2016.
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Photo Jacques Desmarais |
Et la satanée question ici, la vieille question de
Platon demeure (posons comme a priori avec
Normand Baillargeon comme il le disait à La Grande Nuit de la Poésie de Saint-Venant le 13 juillet dernier que Platon est plus intelligent que moi) : faut-il bannir de la République les poètes, car ils nous induisent comme les augures?
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Photo Jacques Desmarais. Avec le recul du temps on mesure autrement
le goût profond des déserteurs de mon époque. Reste le bouleversement. |