26 octobre 2016

La gauche et la droite au Québec : que c'est ça?



Gauche, droite, centre, cha-cha-cha... Ce texte personnel de Monique Larue (Le Devoir, 6 septembre 2016, extrait d'un essai paru dans l'Inconvénient, numéro 65, été 2016) donne à penser sur fond de convergence indigeste et de spectaculaires manipulations budgétaires qui vont nous mener, toutes sensibilités confondues, jusqu'aux élections de 2018. Nos acteurs politiques chevronnés et presque tous leurs amis d'en face, surtout ceux au centre droit criant au courage de baisser les impôts, vont alors à nouveau se préoccuper de la petite travailleuse des Îles-de-la-Madeleine et de tous ces pots cassés. Mais, c'est plus fort que nous : il y aura un printemps québécois qui d'emblée semblera très austère pour les privilégiés!

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DES IDÉES EN REVUES

La proximité des pôles

Dans le contexte québécois, «la gauche et la droite», qui virevoltent avec prestesse dans la tête de l’intellectuel parisien, ne sont pas des notions claires


 Monique LaRue - Écrivaine, Le Devoir, 6 septembre 2016

Dans le monde dans lequel je vis, il est clairement « mieux » d’être politiquement de gauche que de droite. Dans celui dans lequel j’ai été élevée, issu de ce qu’on a appelé, significativement, « la grande noirceur », c’était le contraire. Communisme, socialisme, syndicalisme, justice sociale, droits de l’homme : ces termes marquent l’irruption de la gauche dans mon existence et, grosso modo, dans celle de la population québécoise.

Je ne connaissais rien de ces réalités avant de rencontrer les filles de Michel Chartrand, qui habitaient non loin de chez moi. Grâce à cette camaraderie de jeunesse, j’ai découvert, en même temps que la pensée progressiste, les gauloises sans filtre, le café noir, le pain et les fromages dits « français », Léo Ferré, Gilles Vigneault, la conversation, la discussion libre. Ces éléments, que Bourdieu appelle des « habitus », me fascinaient autant que les idées de Michel Chartrand et de ses amis. Les deux allaient de pair, et je n’y voyais aucune contradiction.

Un autre monde

À partir de ce tropisme, qui semblait alors naturel, entre la gauche et la jeunesse, je n’ai fréquenté longtemps que des gens de même sensibilité, jusqu’à ce que la loi de la probabilité me conduise vers des personnes qui — pour des raisons historiques et politiques extérieures au Québec, ou parce qu’elles étaient nées ici « pour un petit pain » — ont été éduquées ou se sont éduquées à défendre le système capitaliste, la réussite matérielle, apprécient la sécurité, le statu quo politique, n’éprouvent aucun sentiment de culpabilité, mais plutôt de la fierté, à avoir hérité, ou à gagner beaucoup d’argent, et trouvent naturel de défendre des privilèges acquis par les humains qui les ont génétiquement précédés, ou par leurs propres forces.

Ces personnes sont (presque) aussi humanistes que vous et moi, mais au lieu de discuter de progrès social, elles s’occupent de fondations et de philanthro-capitalisme. Leurs soucis d’impôts, de placements, d’investissements me sont étrangers, mais ce qui m’influence est leur indifférence à la peur, à la honte de ne pas être « à gauche ». J’ai ainsi peu à peu compris que la gauche occupait dans ma conscience la place du Bien. J’ai aussi évolué et admis que la passion égalitaire, dans ses réalisations historiques en Europe ou en Asie au XXe siècle, n’incarne pas du tout le Bien, non plus nécessairement que la « gauche caviar », dont je fais probablement partie, même si je ne suis pas vraiment « caviar ». J’ai craint de m’être déplacée dans l’éventail politique, d’être attirée vers le centre, vers « l’autre pôle ». Allais-je, comme certaines personnalités connues dont les positions politiques ont évolué à 180 degrés depuis leur jeunesse, cesser de « tenir ma gauche » ? […]

Un spectre partagé autrement

Dans le contexte québécois, « la gauche et la droite », qui virevoltent avec prestesse dans la tête de l’intellectuel parisien, ne sont pas des notions claires. Postérieur de quelques années à l’avènement de la domination britannique, né de la révolution qui a coupé le cou au roi de France et horrifié une bonne partie des habitants de la Nouvelle-France quand ils en ont enfin été informés, le balancier gauche-droite reste décalé, importé.

Notre Assemblée nationale n’est pas disposée en hémicycle mais en face-à-face, à la britannique. Nous n’utilisons pas les termes anglais tory et whig qui pourraient correspondre à l’opposition droite et gauche. Le spectre politique est partagé autrement, entre nationalisme et indépendantisme d’un côté, et fédéralisme canadien de l’autre. Parce que nous pensons en français et que nos élites participent de l’espace intellectuel français, une circulation se produit entre ce cadrage gauche-droite et la vie politique québécoise. Cette dialectique est complexe, instable.

Un débat tenu le 24 février 2016 à Québec par Le Devoir s’intitulait par exemple : « QS, PQ, NPD : la gauche est-elle condamnée à l’opposition ? » et posait le Parti québécois à gauche. Pour la plupart des gens « de gauche », cependant, son ex-chef, Pierre Karl Péladeau, ne saurait être ainsi défini, en raison de ses positions et de ses actions par rapport au syndicalisme et au capitalisme. Dès la naissance du Parti québécois, après la dissolution du RIN, il s’est trouvé des voix pour dire que ce parti représentait les intérêts de la bourgeoisie et ne pourrait jamais être « de gauche ». « Socialisme et indépendance » allaient de pair, un mouvement de libération se réclamant du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes était « de gauche ».

L’amalgame de Marine Le Pen

Mais d’autres sèmes, d’autres références rattachaient au même moment l’antinationalisme à la gauche « internationaliste » et le nationalisme à la droite, imputant aux nationalismes européens une grande part des maux liés à la Seconde Guerre mondiale. Il est très ironique de voir Marine Le Pen, en visite récemment au Québec, ne faire qu’une bouchée de ces deux dimensions à la faveur du Zeitgeist, les « amalgamer » pour mieux faire rouler les pôles : « La vraie différence aujourd’hui, c’est celle entre les nationaux et les mondialistes. C’est-à-dire ceux qui pensent que les nations sont des concepts dépassés, qu’il faut supprimer les frontières, faire fi des identités et faire surgir l’homo economicus interchangeable ; et ceux qui pensent que la nation demeure la structure la plus performante pour assurer la sécurité et la prospérité, et défendre l’identité des peuples. » Où l’on observe in vivo la manière politique de se servir du langage. […]


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