Bricolage d'apaisement. Mais c'est en pièce. L'anthume ou l'angle de la finitude humaine entrevu par le rétroviseur creuse une dette de vie qui défile, impossible à rembourser. Je reprends ici une idée de Paul Audi dans Au sortir de l'enfance (Verdier, 2017). Devenir soi ensemble, assumer le basculement dans l'âge adulte tisse un fil complexe, bourdonnant de modalités existentielles où se poseraient, sans jamais se figer, se fermer, se noyer, espère-t-on, nos âmes d'oiseaux. En classe, j'avais été saisi par un énoncé de Jean-François Malherbe dans son cours Religion, Éthique et Spiritualité. Je lui dois la formule du " devenir soi ensemble " qui m'est très souvent aiguillonnante. Façon de remettre la transcendance sur ses pieds, au ras des marguerites que l'on effleure, vers l'agrandissement de sa propre sensibilité, chaque œil veut voir davantage, disait Henry Thomas. Un objet est immanent à soi-même. Le sujet s'échappe à lui-même. Dans le lexique de Malherbe, la spiritualité se définit par l'ouverture à la surprenance, à ce qui nous dépasse. En reprenant au plus près les mots mêmes de Malherbe, il disait : la spiritualité est ce rapport que s'autorise un sujet avec sa propre transcendance. Le sujet devient sujet dans un travail " autopoïétique " quand il renonce à toute appropriation de sa propre transcendance. L'humaine condition implique d'accepter notre inhérence à la nature; accepter l'humaine condition, c'est reconnaître notre solitude, notre finitude (on y revient), notre incertitude. L'humaine condition, c'est enfin accepter la réciprocité créatrice, soit l'auto-engendrement, assisté de l'autre et vice et versa. En marge de sa démarche, il avait dit : nous tenons sur nos épaules des milliers de personnes. L'auto-engendrement suppose l'engendrement. Je reviens à Audi qui en parlant de l'anthume, de ce qui nous précède, pointe à mon humble avis une modalité réjouissante, en sus de la présomption (que j'interprète comme se croire puissant nombril-roi seul sur son île, bon dieu sois ferme, pas de pitié pour les faibles, disait Brecht dans Le Gros Citron) et de la consomption (la honte de ce qu'on est, la honte de ses parents,...); soit ces ondes si fortement ressenties au sortir de l'enfance. Cette tierce modalité entre les mains d'un enfant qui ne l'est plus, mais qui n'est pas encore un adulte, serait susceptible de nous faire envisager autrement les eaux troubles et les brûlures, de marquer l'âge de l'adolescence, ô grand et beau fouilli échevelé du printemps, comme ce qui fait évènement. Cette modalité a trait à l'assomption, affirme Audi : " C'est en effet au regard de l'assomption de soi, c'est-à-dire à l'assomption de sa condition native, que l'on peut donner du sens à l'entrée dans l'âge adulte. Le fait d'assumer ce qui donne lieu au Soi, - son être-né, qui est un être engendré - se traduit par l'acceptation de l'impossibilité de l'acquittement de la dette de vie, la recherche et la trouvaille des " solutions " que cette impossibilité commande de mettre en oeuvre. Toutes ces solutions ont à voir avec l'adoption consciente et réfléchie de formes de vie ayant partie liée avec la liberté et l'autonomie [...]. " (Au sortir de l'enfance, p.124). Mais là, comme si tous pouvaient lire dans la tête des autres, au détour, je tire cette remarque de Robert Lalonde dans La liberté des savanes (Boréal, 2017, p.73-75) qui me semble aller en partie dans le sens de la réflexion de Paul Audi : " Notre vie est si .peu chronologique, écrit le comédien et l'écrivain de Ste-Cécile-de-Milton. Un événement ancien est souvent plus poignant que le surgissement le plus récent. Past is, écrivait Faulkner. L'arrière-monde dont parle Claude Lévi-Strauss, poursuit-Il, c'est-à-dire l'ensemble de récits, de souvenirs, d'images, de façons d'être et de penser, et même de postures du corps dont on hérite au jour de sa naissance. [...] Inflammables nous sommes aux brûlants rappels de ce que nous avons été. " J'ai dit tantôt " âmes d'oiseau " pour faire joli. Sinon, à tout le moins, Le coeur est un oiseau " par-delà les frontières, les prairies et la mer ". Mais si oui, il y a ce grain de vent de Lévi-Strauss, rappelant Thoreau, cité encore une fois par Lalonde, à savoir que " Le contact avec la nature représente la seule expérience humaine éternelle [...]. Une énergie vibrionnante escorte ces chocs perceptifs, [...] le bonheur de la dissolution de soi. " D'où peut-être, en même temps, sur le qui-vive, des phrases à n'en plus finir! parce qu'à ce point-ci, j'avoue être " écartillé " entre l'envol, les solutions engageant la liberté, y compris le " je m'envole autre " de Pessoa, et d'autre part le " bonheur de la dissolution de soi". Faire le mort comme dans La vie minuscule de Pierre Mignon, mettre encore une fois la table et remettre sur le métier, cueillir comme au premier jour, prendre dans ses ailes l'assortiment de ces sérieux Signaux, si chérie, oui! pour les voyants dont parlait le grand Gilles Hénault. Sois arbre, disait-il.
" Il fait clair de neige dans ma tête [...] Le monde se retire comme la marée À mesure qu'on pense plus et qu'on voit moins " (Enfance, Signaux pour les voyants, Typo, 1972, p. 92).Sur nos épaules.../
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