18 novembre 2006

Hôtel Cody

Au sud de la province textile,
par-delà les chemins tordus que je croyais secrets,
le vent ébouriffait à l’envi les images de chameaux d’or
qui pétillent
dans la neige turluttante

C’était beau et fret.

Mais comme un faux-monnayeur de voyage
mal équipé, givré, en panne,
je devais m’arrêter

à l’hôtel Cody

Ça sentait le miteux, le tonneau de bière,
la fripouille, le cow-boy local, le tapis imbibé
et quelques filles à bras le corps

J'ignorais tout de l'alcool
et du dernier quartier d'hiver

La toile était baissée
Planqué comme un orphelin des steppes
parmi les pimbinas, les bûcherons, les révoltés

Peut-être que je te cherchais, mon ivrogne?

Pour déclamer cette soirée saoule autobiographique
qui s’infiltre en zigzags comme une couleuvre
entre les heures bourrées de caféine

Avec des voix de cornet en-travers de la tête...

La radio pisse du vinaigre de bêtes
pleurniche par le trou du vide
de la chambre vert pomme et gin,
avec des rouleaux de vieux verbes
et de la météo mentale.

Je suis gelé comme une balle
et il y a des halos de boucane impromptus
qui tapissent les murs de mes anciennes vies de fou.

Comme une mère prise dans son silence de morse,
la lampe éteinte m’offre ses condoléances

Je voudrais pourtant juste dormir!
sans tambour ni trompette

Mourir peut-être aussi...

Deviner une dernière fois
les idées qui s’enroulent,
les désirs qui s’embrouillent
en plongeant dans le roi désert
de mon cerveau enfariné,
de plus en plus écorché
par le sprint du solo de guitare électrique
qu’on entend venir du grill encore ouvert...

Descendre au bar incognito,
fripé au max comme un brouillon,
l’air de sortir d’une crevasse de la lune
avec une barbe de quatre jours
comme une défaite morale?

Ben...
Je n’ai pas le choix!
J’ai des coliques et des guenilles dans le ventre,
des spasmes...
Je ne suis pas dans mon assiette!

J’ignorais tout de l’alcool
et du smashe qui pète au fret.

Et voici tout de go
dans le décor de bouleaux blancs et d’étoiles bleues,
une blondine sans dentier ni frontières
qui dégage du vieux spray net de star déchue,
assise sur le bout du tabouret noir à pitons,
tout près de moi...

Elle commence à couiner sérieusement
dans sa roue de bicycle de fièvre

Elle s’intéresse à moi, pauvre cloche!
me zieute, me dépiaute,
me contamine,
m’absorbe!

Elle me caresse la joue
tellement que je suis fin!

Mais qu’est-ce qu’elle me dit?!

Au milieu de la poudrerie et du vent qui écornifle,
les vitres jaunes et rouges de l’alcôve
sont en rut

Je suis ligoté ben raide
dans le lasso de lumière
de cette indienne à voile
qui m’emporte
avec ses histoires de gironde
à coucher dehors

à l’hôtel Cody

Elle me tricote une tribu de femmes invisibles
des mortes, des vivantes, des grimpantes...
qui capturent par télépathie
l’éternité à gros grains

Puis, interlude dans la prière de ses yeux...
«Tu es de mon peuple!»,
me dit-elle soudain.

«Préfères-tu les filles ou les garçons?»

Maudit torieu de baptême!
J’aimerais ça des fois
être un gros taupin, un dur,
un sans coeur
un bélier
un remmancheur d’os indépendant
qui couraille comme il le veut
entre le tempo des mots épelés...

Hein, ma belle?
Faut pas partir en peur!
Faut pas charrier non plus!

Je ne suis qu’un pauvre camionneur.
Un camionneur... en réparation

à l’hôtel Cody.

15 commentaires:

Jack a dit...

Commentaires :

Note : une version de ce texte a d'abord été lue par Michel Garneau le 19 mars 1999 sur les ondes de l’ex-Chaîne culturelle de la SRC, à l’émission Les Décrocheurs d’étoiles.

J'ai publié le texte dans Libre Salmigondis, mon ancien blogue, le 14 mars 2006 (http://blogue_a_jackyboy.monblogue.branchez-vous.com/)

Je reprends ici les commentaires reçus sur Salmigondis. Par pur narcissisme. D'ailleurs, certains n'ont rien à voir avec le texte. Mais c'est ainsi que les conversations des hommes vivent...

2006-03-16 04:24:05
Michel - www.mespoemes.net/bunelmichel/
époustouflant, ce jaillissement verbal est pure jouissance, vous avez beaucoup de talent

2006-03-16 05:25:58
Jack
Merci Michel!

2006-03-16 19:50:22
Jean-Luc Fillion
C'est beau te lire. TU écris vraiment bien. Surtout que la poésie n'est pas une maîtresse facile à satisfaire.

2006-03-16 20:04:18
Jean-Luc Fillion
Resalut,

Je viens tout juste de voir ta réponse à mon commentaire suite à ton poème sur Carmen Quintana. Pour répondre à ta question, je crois que c'est en hiver 1989 ou 1990. J'assistai à sa conférence qui fut organisé par le Centre de solidarité international d'Alma, au Lac St-Jean.

Évidemment ce fut une soirée mémorable. Je lui ai serré la main. Chez moi, j'ai quelque part dans une boîte un livre écrit par un travailleur social de l'UQAC sur son histoire tragique.

Dès que je le retrouve, je t'en donnerai les coordonnées. Ou si tu te manifestes dans la capitale du bonheur, je pourrai même te le prêter.

El pueblo unido jamas sera vencido.

Jean-Luc

2006-03-16 23:13:50
Jack
Merci M. Filion!

Est-ce que l'auteur du bouquin dont tu me parles ne serait pas André Jacob? Il était en socio à l'UQAM, sauf erreur.

2006-03-17 07:05:48


n.b. Le serveur de l'ancien blogue m'a scrapé plusieurs commentaires, dont celui qui précédait cette réponse, un beau texte de Michel Vincent sur les années de feu du Windsor à Granby (1972-1973)

Jack
Yé! Le Windsor miteux! Oui, la chanteuse de Caramel Mou! Le chanteur qui marchait sur les tables en jouant de la guimbarde tout en ravissant le coeur de Michèle P. Un soir, j'ai même fait «la première partie» de Caramel Mou en osant déclamer mon «Passeur Matineux»!!! Il n'y avait pas grand monde dans la place ce soir-là, mais j'avais impressionné la chanteuse... Le Windsor imbibé de bières, de filles à gogo avec des petites étoiles sur leurs taitons célestes, Melody «Janis» Stuart (Ha!,) invitée par nous au Da Francisco...

J'ai un texte aussi sur le W, Windsor comme ailes du désir fou. Mais enseveli où donc? Un «manuscrit» dactylographié avant l'invention du «traitement» de texte!

Merci! Tu me mets en retard pour aller travailler!!!

2006-03-17 21:15:27
Jack
Weyergans a raison : ce que l'esprit humain crée spontanément,point de vue écriture en tout cas, est généralement bourré de défectuosités, surtout le matin quand tu roules entre deux bouchées de toast aux bananes! Si jamais l'humanité en venait à lire le commentaire qui précède, oh mes épaules, elle dirait : ouair! il a appris à écrire par le son, celui-là. Avec mon grand âge, je n'ai même pas cette excuse-là. Mais on s'en balance de tes fautes, mon coco. On a bien saisi que Melody Start, ouf! Quand même! Comment diable ai-je pu parler de «taitons»? Parce que c'est dans la famille du laiton, j'imagine! Parce que c'est pas beau le mot «tétons» et qu'il faut le taire en taiteux des lapsus pressés comme du jambon gelé comme une balle? Stone ham. Que dire du vent sans son dé à coudre et qui, en english Mr, se transforne en victoire sans sel : Winsor / Windsor? Hein?

Je passe sous silence le reste de la cavalerie boitineuse. Et je crawle jusqu'au bout de de mon aquarium à cabochon pour effacer mes traces de cancre. Heureusement que j'aime ce dernier mot qui raisonne comme une cloche dans ma tête : cancre. Ancre. Encre...


2006-03-25 18:23:14
J...
Oui, une cloche peut raisonner!

18/11/06 09:55

Anonyme a dit...

Moi, j'arrive ici, à l'hôtel Cody sur la nouvelle page virée à neuf, crissante, saisissante. Je suis la roue de trop du camionneur. L'essieu qui crisse et qui pleure de l'huile noire et sale. J'arrive ici, à l'Hôtel Cody, je ne bois que la misère de l'indienne, je la bois toute, je suis pour elle la redoute, la femme interdite. Je me penche sur le bar et invente des doublons de tristesse. Je suis le camion qui couche dehors, qui craque sur l'asphalte, qui prend l'essence et le pétrole pour se saouler fort. N'importe quel camionneur va me prendre et tourner à gauche. Adroite, je suis le camion de tous les autres videurs de cargaisons. Je prends la route, je file, je fuis, je fends l'air à 130 km /l'heure, je peste contre le temps de glace et les bougies éteintes. Je ne reviens plus aux USA. C'est décidé. Je suis le camion qui abandonne la ligne jaune pointillée. Dernier arrêt, hôtel Cody.

Jack a dit...

Nina, très sensible ton commentaire.

Jack a dit...

D'autant Nina que j'ai une affection particulière pour ce texte. Habituellement, je n'aime pas commenter mes bebelles, d'autant que mes textes, en autant qu'il y ait un peu de poésie dedans, ne sont pas avant tout autobiographiques. Ça ne m'intéresse pas de parler de moi. De mon regard, oui. Mais tu auras compris ici que cette indienne existe ou a existé.

Anonyme a dit...

Jack: Bien sûr que j'ai compris. Lucide, sensible à ta poésie et aux giffles qu'elle m'offre.

Anonyme a dit...

Jack, cachotier va ! J'ai entendu dire.... que c'était possible d'entendre une grande dame réciter ce magnifique poème !!!! Ne fais pas le gourmand, on en veut aussi de cette voix, de cette lectrice Jack!!!

Jack a dit...

Nina, as-tu mon courriel?

Anonyme a dit...

Il est de toi le courriel ?! Je croyais que c'était mon héro gazoline Superk, qui me l'avait envoyé par la bande. Je suis touchée. Oui reçu. Merci beaucoup. Je l'écoute dès ce lundi soir novembre.

Jack a dit...

Oh! Un peu de ska. C'est sans doute un coup d'aile sans plomp de Superk à qui j'ai demandé de passer la poque vu que je n'ai pas ton adresse. Même si j'avais ton adresse, comment pourrais-je avoir ta grande adresse, Nina?

Anonyme a dit...

Superbe moment passé dans cet hôtel, d’autant plus que c’était inattendu ; je compte y retourner.

Merci beaucoup à vous deux.

Jack a dit...

Donc, Nina, en demandant «as-tu mon courriel», je voulais dire : «As-tu mon adresse de courriel». Ah!, le vent dans le trou des mots.

Anonyme a dit...

Oui. Je l'ai. Maintenant que je comprends l'invitation j'irai t'écrire un verbe conjugué.

Je poste ma réplique à ton "hôtel Cody" et mets le lien vers Train de nuit. Un peu comme on avait fait avec Superk pour "Clarice" à trois. (sourire) Dommage que je n'ai pas d'image de train ou de rail à afficher avec.

Delphinium a dit...

Un texte qui sent la bière, la viande grillée, le sueur, la tristesse qui se balance au bout des bars, sur la route des hommes. Un texte qui me fait penser à un film, "Bagdad Café". Un peu de chaleur humaine, bestiale, au fond d'un bar, sur la route de la vie, qui mène on ne sait pas trop à quoi. On vient dans un bar y vomir un peu son mal-être qui finalement a l'air parfois plutôt mieux que le mal-être des autres...

Jack a dit...

C'est bien senti, Delphinium. La frontière si poreuse entre les je qui se dise tu dans ces bouges, ces trous de peau.

Anonyme a dit...

Oui, Delphinium. Un texte qui nous ramène des images des fictions et des parfois trop réels.