18 novembre 2006

Slam Québec



«La SLAM s’intéresse par-dessus tout à la poésie, donc aux gens. N’importe qui est un agent poétique. Il suffit de le lui rappeler

Suite à Slamer Déslamer à Montréal (cf. mon entrée du 11 novembre avec les commentaires du Rimailleur, de Superk...), il me fait grand plaisir de publier, avec sa permission, un courriel en plein dedans jusqu'aux dents reçu de IVY en ce samedi matin grisonnant.

Comme il le mentionne, on y trouvera des réflexions sur le vif et on ne peut plus actuelles sur l'âme du slam qui émerge au Québec. IVY a un complice de la ville de Québec avec lequel il est en dialogue. La Capitale sera contaminée prochainement...

Wô bec! Tout cela s'annonce de bon augure.

Contribution de fond. Très généreux. Enthousiasmant!

De quelle couleur est la vie, en effet?

Merci IVY.

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Yo Jacques,

Mé mé mé mé c’est donc bien tripant ton blogue ! Discussion sur la SLAM. Yé. En fait, ce que j’ai sur mon site date un peu. Je ne le défini pas vraiment, en fait, je m’attache plus au spoken word (en parlant de rythm and poetry). Je te liste ici des échanges que j’ai en ce moment avec André Marceau du TAP (tremplin d’actualisation de poésie) à Québec et qui devrait lancer des soirées SLAM à Québec à partir de l’an prochain (pour que Québec fasse partie de nos finales à l’automne 2007!).

Si t’as envie, les extraits suivants permettront peut-être d’éclairer la discussion des blogueurs. Merci pour ton initiative super chouette.



1) «Je vous écris pour vous faire part d’un emballant projet qui conviendrait grave à votre orientation : les soirées de SLAM poésie. La SLAM, c’est une compétition amicale de poésie avec des règles, créée à Chicago par l’américain Mark Smith au milieu des années 80. L’Engouement du côté anglais est phénoménal depuis ce temps. Il y a une ligue américaine, canadienne-anglaise et française – vous avez sûrement entendu parlé de Grand Corps Malade ? eh bien, il sort de ces scènes-là. À montréal, j’ai pris l’initiative de fonder un groupe, le groupe slamontréal, avec Bertrand Laverdure, Jonathan Jonas Lafleur et Catherine Cormier-Larose. Notre premier banc d’essai (nous en ferons 3) a mis en scène 11 slameurs soumis aux règles (en gros : 3 minutes, chrono en main (pénalité si dépassement de temps), textes poétiques originaux et en FRANÇAIS, aucun accesoire, costume ou mise en scène, jury formé par le public. Une première manche permet de conserver les 5 pointages les plus élevés et assure une seconde manche les heureux élus qui y vont d’un second texte poétique. En tenant compte des deux résultats, on détermine ensuite le grand slameur (ou slameuse) de la soirée. Le gagnant se mérite une place en finale à la fin de l’année). (IVY)


2) «En effet, la SLAM a été conçu au départ pour niveler le fossé entre les poètes académiques et ceux dit de rue. Même si cela a échoué (en fait, partout où les scènes SLAM ont émergé, ce fossé s’est même creusé), l’idée reste qu’un art oratoire percutant, envoûtant, peut emmener la poésie beaucoup plus loin que le poème écrit, destiné à être lu dans des milieux spécifiques d’amateurs du genre – forcément restreint. La SLAM abolit en quelque sorte le poète pour mettre en scène des slameurs : rappeurs juvéniles sans beat, polémistes sociaux, déflorateurs de bonne conscience ou prospecteur d’inconnu, créateurs originaux, souvent boudés par les rencontres de la poésie publiée – tu sais de quoi je parle. La scène SLAM est la porte ouverte sur le monde rugissant de la poésie davantage que sur le poème. En plus, elle oblige les slameurs à écrire (un slameur ne peut déclamer le texte d’un autre). Donc, si les poètes sont le milieu naturel de naissance de la SLAM, cette dernière se comporte ensuite librement comme un enfant envers ses parents : elle est autonome. Re-donc, si tu dois, au départ, te creuser les méninges pour encourager les poètes à se mettre en jeu, même en lisant avec des feuilles au micro, il ne faut jamais perdre de vue l’immense apport des slameurs potentiels non révélés par le milieu de la poésie et qui sommeillent dans les assos étudiantes, dans les polyvalentes, les universités et souvent autour d’OSBL à caractère social. (IVY)


3) «C’est une expérience très dérangeante pour le petit milieu bien ancré dans ses habitudes qu’est celui de la poésie au Québec. Par exemple, au sein même de mon groupe, notre grand poète Bertrand Laverdure regimbe à ouvrir l’espace à quiconque le veut. Un poète comme Jonathan Lamy, l’un des participants à notre première soirée, s’inquiète énormément de la « popularisation » du poème (dans la SLAM, l’oralité étant fondamentale, les slameurs ont recours à des stratégies selon lui éculées (après tout, la poésie ne rime plus depuis un siècle et demi) comme la rime, la récurrence). Ouvrir l’espace poétique au populaire, c’est une régression selon lui, comme si l’art devait évoluer (beaucoup sont victimes d’un Darwinisme douteux issu de leur formation universitaire). Mais enfin, cela est bien théorique, mais mérite d’être souligné. Côté média aussi, la venue de Grand Corps Malade a Montréal, pour aider la SLAM, brouille un peu les cartes, car tout le monde aura tendance, influencé par les médias, à croire que la SLAM C’EST GRAND CORPS MALADE, alors que, bien sûr, c’est faux. Si Fabien (son vrai nom) effectivement est un slameur, il l’est bien parce qu’il vient des scènes slam et qu’il continue à s’y investir, et surtout parce qu’il respecte à peu près le principe : 3 min, sans accessoire. L’urgence de créer une ligue, de baliser les soirées et de penser à une stratégie de communication et de développement me semble essentielle. Cet aspect aussi mérite qu’on s’y arrête. Pour Bertrand, par exemple, c’est nous, les organisateurs, qui influeront sur la couleur de la SLAM au Québec alors que moi je pense plutôt que c’est les différents slameurs, à force de monter sur les scènes et de peaufiner leur style propre, qui vont s’en charger. Voilà pour le cours de mes pensées actuellement. (IVY)


4) «L’idée d’ouvrir la scène à tout le monde, non seulement aux poètes mais à tous ceux qui veulent interpréter un texte de création, réponds aux vœux initiaux du fondateur du genre, Mark Smith. Ce dernier, en effet, souhaitait abolir la distance entre les poètes académiques et ceux de la rue. Cette intention s’est traduite aussi dans l’idée d’abolir la distance entre le public et la poésie, de la ramener en quelque sorte dans le giron des préoccupations journalières – comme la musique qui sait maintenant ponctuer les activités de la journée (et qu’on apprête à toutes les sauces, sur toutes les chaînes radio). Même si dans les faits (et l’effet…) la distance entre les poètes et les désormais slameurs s’est accentuer, il reste que partout où la SLAM a émergé, le grand public accepte maintenant l’idée qu’un spectacle de poésie peut s’adresser à tout le monde et être agréable voir tripant même pour ceux qui ne sont pas dans le secret des Dieux de la fabrication poétique. « Le fonctionnement habituel des ligues américaine et française » pour reprendre ta phrase stipule que quiconque le veut peut s’inscrire, pour autant qu’il y ait de la place ; sinon, son inscription est reportée à la prochaine SLAM. J’imagine par ailleurs qu’un fauteur de troubles peut se voir refuser l’accès. ET TU AS TOUT À FAIT BIEN COMPRIS : la SLAM n’est pas une forme de poésie, mais une forme de soirée, si l’on peut dire : une soirée dans laquelle les participants sont en compétition et où chacun « performe » (horrible mot) un texte poétique de sa création ne dépassant pas 3 min et sans l’aide d’aucun accessoire. C’est clair que l’émergence des scènes SLAM va permettre de mélanger les genres, mais aussi de favoriser l’émergence de performeur spécialisé dans les formules punch, attrayantes pour le public, un peu comme un Grand Corps Malade sait le faire. Précision et aparté : il y a 12 ans, dans une conférence prononcée dans le cadre du CEULA à l’UL, à Ste-Foy (à l’époque), j’ai attiré l’attention sur le besoin de préciser les termes dans les enjeux (ou débats) entourant la poésie ; j’ai alors beaucoup réfléchi et établi les précisions suivantes qui me semblent capitales : il y a trois données fondamentales dans le champ qui nous intéresse 1) la poésie 2) le poème 3) le poète. La poésie, c’est une intuition, une sensation, un mouvement qui anime l’être humain qui se traduit par la totale liberté qu’il a de faire sens, et ce, depuis la plus tendre enfance (pensons aux enfandises par exemple (style : Jean Leloup chante « La vie ce n’est pas rose, la vie ce n’est pas rose » et ma fille, alors âgée de 4 ans, me demande : « alors, c’est quelle couleur la vie ? »)). La poésie pensée comme une libre énergie, une dispersion active de la liberté, un enthousiasme, un feu, une ignition : l’éclair de la conscience qui fait corps avec la matière (et non un éveil philosophique : un éveil charnel, sensible, dans la matière). La poésie est ce qui spécifie l’activité humaine, car elle permet de ramener le monde des idées à l’empirisme des sens. C’est la clef de toutes les errances, une voie royale de connaissance comme dirait Césaire, une issue pour sortir de la Samsara dirait Bouddha. Le poème, lui, c’est un objet, un outil, il s’inscrit dans une culture, dépend d’un langage, correspond à un certain nombre de clichés historico-sociaux de la culture dans laquelle il est fabriqué. Il appartient à la littérature. Le poème, c’est le faire, dont tu parlais. C’est le médium linguistique, le matériau d’un artisan ou artiste du langage. Il est sujet à débat, crise, etc. C’est un acte d’insertion sociale. Le poète, lui, c’est le spécialiste qui fabrique des poèmes – je laisse de côté l’expression populaire qui veut qu’il y a des poètes du foot (Zidane, par exemple…). Le poète, c’est l’être vivant fabricant les poèmes dans lesquels on retrouve parfois, avec un peu de chance, cet élan si caractéristique de la poésie. Si on applique cela à la SLAM, c’est clair que cette « discipline » n’apporte rien au poème : elle n’est pas solidaire de la recherche littéraire, ne cherche pas à s’inscrire dans un courant. Elle n’est pas non plus le fief des seuls poètes, qu’elle neutralise d’ailleurs sous le vocable slameur/euse. Mais la SLAM favorise, par l’événement spectaculaire qu’elle induit, par la présence physique du performateur qui oralise un texte, elle favorise le libre jeu de la poésie et la pénétration de cette énergie a-morale, sensuelle, une énergie qui combat les idées toutes faites, qui s’oppose aux abstractions destructrices de notre « humanitude ». La SLAM, c’est la poésie au cœur du monde. La poésie libérée des carcans du poème. Une énergie mise en commun qui augmentera son influence en fonction des événements qui permettront de la libérer. La poésie, c’est la réponse humaine à Dieu et au monde insensé. C’est la liberté de faire sens. C’est la création en création. (IVY)


5) «Dans l’optique de la SLAM, il importe peu que la notion de poème soit définie (c’est l’aspect du spectacle le moins régenté, outre par le 3 minutes, le slameur peut dire à peu près ce qu’il veut dans la forme qu’il désire) : mais il est toutefois fondamental de s’entendre au moins sur la notion de poésie, dans le but de favoriser la libre activité de son énergie. (IVY)


6) «est-ce qu’on s’entend que la poésie est un ÉTAT et le poème (qu’importe son «apparaître») un OBJET ? Quand je dis que la SLAM est une porte ouverte pour favoriser le libre jeu de la poésie dans le monde, je n’incite pas les gens à lire plus des poèmes, mais à retrouver le réflexe poétique (de l’enfance diraient certains…), cet état si caractéristique de notre espèce et qui se traduit, d’abord, par la liberté de faire et de débusquer le sens par l’entremise de la sensualité. La liberté de faire image, si tu préfères. Surtout que les poètes, souvent vecteurs de poésie, sont ni plus ni moins que les spécialistes de l’image. Il y a donc chez les praticiens du poème, un savoir qui n’est pas à négliger, mais qui n’est pas obligatoire pour appréhender la poésie. La SLAM s’intéresse par-dessus tout à la poésie, donc aux gens. N’importe qui est un agent poétique. Il suffit de le lui rappeler. (IVY)

6 commentaires:

Anonyme a dit...

Intéressant. Qu'ils sont beaux les passionnés.

Christian Roy, aka Leroy a dit...

Idem, pas eu le temps de tout lire, mais ça m'a donné des palpitations, ça doit être bon signe, en tout cas c'est comme ça que je l'interprète :)

Jack a dit...

Je sais. Et j'ai reçu ce matin un beau texte complémentaire de IVY que je vais partager à Train de nuit sous peu. J'ai le pressentiment qu'une grosse boule de neige se prépare à Québec et Montréal. Ça va glisser! Je sais aussi qu'il s'agit ici d'un long texte. Mais j'ignore comment faire un résumé ou publier le premier paragraphe, puis tracer un lien en disant : la suite ici.......». Le savez-vous vous autres comment faire?

Anonyme a dit...

Pas moi mais héro gazoline ça doit.

Anonyme a dit...

:alias Superk, gazoline c'est mon imagination qui l'a inventée (sourire)

Jack a dit...

Il y a un an je publiais ce texte de Ivy qui est devenu une des pages ls plus consultées de Train de nuit.