06 novembre 2006

Mr Tambourine Man





J'ai dit que je disparaîtrais pendant quelques jours dans ma basse-cour ésotérique. Mais je ne m'écoute pas! Il le faudra pourtant. Pour reprendre une image de Wittgenstein, je me suis moi-même foutu comme une mouche au fond d'une bouteille. Vide s'entend. À moi de trouver le moyen de m'en échapper.

Entre temps, pour dire comme le dit Steve de Kaïn, le Chef des chefs est en ville. Et nous irons entendre mercredi le plus grand ménestrel vivant : Robert Bob Dylan.

En 1975, j'étais en visite dans une bonne famille américaine, celle d'une collègue de l'école où j'enseignais. Nous sommes en Louisiane, à la frontière du Texas. La guerre du Vietnam achève comme une fin de film effiloché qu'on traîne dans la bouette infiniment à chaque soir à la télé. Le Watergate est consommé et c'est la jaunisse dans les figures. Pour qui Nixon le glas? J'ai les cheveux longs. J'ai 20 ans. J'ai croisé des étudiants contestataires noirs qui m'ont raconté les fusillades sur les campus. Je suis baveux naïf. J'ai passé l'année avec des collègues Français communistes. Je suis fin pourtant. Après le repas, la bonne chère maman me demande : quels artistes américains aimes-tu? Je réponds d'une seule voix : Joan Baez.

Ah! Mon Dieu! Je les ai tant désappointé. Les faces ont baissé. Un froid s'est installé jusqu'à mon départ. Je suis dehors avec mon vélo. Enfin, j'ai sacré le camp!

Mais mon ange restait au chaud caché dans mon froc. Joan Chandos Baez, la Reine du folk, voix de soprano pure comme l'eau de source d'avant Karl Marx. C'est cet ange qui a trimballé sur toutes les scènes folk le jeune tit-bum loup. Puis elle a pris la route de l'engagement militant. On a chanté les chansons de son amoureux dans toutes les manifs des années 60. Dylan n'est jamais allé aux manifs. Son coeur y était en toutes lettres pourtant. Zimmerman n'a pas souligné au crayon rouge l'exploitation de çi et de ça. Il a tracé les sillons de sa poésie avec une seule étoile comme appât : l'inédit qui brille dans la justesse du propos. Son regard intelligent comme un singe qui a singé tous les fonds de tonneaux de la chanson populaire (folk et blues) reste tranquille au-delà de l'horizon. Que lui importe la récolte? Il a semé, marché, composé. Aimé. Quatre enfants. Il marche encore! Il remplit ses salles! Il machouille ses chansons.

Cet homme que j'admire est un Héraclite réincarné. En ce sens qu'il est resté solidement lui-même tout en comprenant finement le flux continuel du mouvement. Il est resté avec ces yeux tranquilles, rarement égarés ou «partis». Des yeux contestataires. Un regard marginal. Faisant son affaire. Une boîte à surprises est toujours sur le point de se renverser dans sa tête. L'accueil qu'il fait à la surprenance dans sa vie fait de Dylan un être profondément spirituel. Au demeurant, cela n'a rien à voir avec son Slow Train Coming.

Dylan l'artiste, le créateur, le mauvais chanteur, l'excellent écrivain, l'inventeur de lui-même, Dylan, fils de Thomas Dylan, fouille, éprouve encore et encore sa soif devant les gradins populaires. Il joue à défendre ce qui n'était pas là l'instant d'avant. Sachant mieux que quiconque qu'il n'est pas un Dieu, que sa monture passera aussi.

Je souhaiterais que Dylan ne finisse jamais son show.
Hey, Mr Tambourine Man, play a song for me!


Beyond the Horizon - Modern Times
(Music and words by Bob Dylan; ©2006 Special Rider Music)

«Beyond the horizon, behind the sun
At the end of the rainbow, life has only begun
In the long hours of twilight ‘neath the stardust above
Beyond the horizon, it is easy to love
(...)

Beyond the horizon, across the divide
‘Round about midnight, we’ll be on the same side
Down in the valley, the waters run cold
Beyond the horizon, someone prayed for your soul

My wretched heart’s pounding
I felt an angel’s kiss
My memories are drowning
In mortal bliss

Beyond the horizon, at the end of the game
Every step that you take, I’m walking the same...»


Political World - Oh Mercy
(by Bob Dylan ©1989 by Special Rider Music)

(...)
«We live in a political world
World of wine, women, and song
You could make it through
Without the first two
Boy, without the third you wouldn't last long

We live in a political world
Where peace is not welcome at all
It's turned away from the door
To wander some more
Or put up against the wall
We live in a political world
Everything is hers or his
Climb into the frame
And shout God's name
But you're never sure what it is
(...)»


«Quel est donc ce langage
qui fait que je t'entends
qui fait que je t'attends
comme animal en cage

Dans la prison des mots
qui nous désappareillent (...)

C'est la voix du premier poète
dont il reste un lointain écho
au petit clocher de nos têtes

Ah!la musique que vous faites
Camarade jargon d'argot»

- Gilles Vigneault, Chanson pour Dylan
(citée de mémoire)

10 commentaires:

Christian Roy, aka Leroy a dit...

C'en est un que je ne connais pas trop, Dylan. Sa voix m'a toujours rebuté, paraît qu'il faut s'attarder au texte. J'ai justement vu une Musicographie sur lui tantôt.

D'un autre côté, les langues sales disent qu'il a volé le génie aux "vrais" poètes beats (Kerouac, Ginsberg). Qu'en penses-tu (t'as l'air assez fan alors j'imagine déjà la réponse :-P

Jack a dit...

Tu as vu une partie du documentaire No Direction Home (excellent) et j'en répète des bouts dans mon résumé. Je crois que Dylan reste fidèle à Kérouac dont il a épousé l'étincelle de vivre dans l'instant présent. Ginsberg, le grand Howl, était un ami. Guthrie fut son premier grand «modèle» en chanson. Quand il s'est électrifié, des fans ont crié chou. Il a même épié Chaplin. Il a volé des disques à ses amis. Sûrement des livres. Il a volé la pureté de Joan Baez. Mais qu'est-ce qu'on en sait au juste de tout ce mouvement d'éponge et de vampire? Dylan est sûrement un voleur de feu qui voulait faire ce métier malgré une voix de dallo. Il pique des strophes dans les veilles chansons des années 1800. Les exégètes sont là-dessus. À force, il est lui-même devenu un puits. L'esprit de ce temps en sera marqué. Qui vole à qui volera? Mais le génie, je pense, personne ne peut le prendre, ni l'imiter. On ne peut que l'accompagner. L'habiter. Ne crois-tu pas?

Je ne connais pas tant que ça Dylan. J'ai eu la chance d'avoir un ami très proche anglophone qui m'a initié à ses textes. Cela m'a transformé durablement, m'a mis sur a route. C'est d'ailleurs ce même ami de poète qui m'a mis la tête dans Kérouac. L'esprit est là. Mais Kéroauc n'était pas un ménestrel.

Jack a dit...

Excusez Mr Jack Kérouac!

Karo Lego a dit...

quel bel hommage!

Jack a dit...

Caro, tu es passée, ici et là et là... Merci! En principe, je suis invisible de mon blogue pour quelques jours. Mais pas pour la visite.

Anonyme a dit...

N'étant pas du tout (mais pas du tout) anglophone, je peux témoigner qu'on peut aimer Dylan rien que par ce qui ce dégage de sa voix et de sa musique..
Quant aux paroles, c'est toujours étrange pour un francophone de lire de la chanson anglophone traduite. Même dans le cas de la "chanson à texte", on trouve toujours ça un peu plat. J'ai vu une performance (en fait si, je cause anglais) d'un poète, cyrille martinez qui s'est amusé à traduire au premier degré des chansons anglophones(doors, beatles, james brown, dylan)et à les dire en scène de façon très neutre, sans musique, mais synchrone avec la chanson initiale (et avec donc du silence à la place des interventions instrumentales)..ça faisait un effet très surréaliste.

Christian Roy, aka Leroy a dit...

bizarre que tu racontes ça rimailleur, je faisais la même chose avec les doors il y a des années, ça donnait:

Passe à travers pour arriver l'aut' bord
Passe à travers pour arriver l'aut' bord


je vous laisse deviner quel était l'original :)

Karo Lego a dit...

"break on threw to the other side"

;)

Karo Lego a dit...

Jack...
elle est passée par ici, elle repassera par là. Jack est là:) Jack est là!

et moi de même... pas très présente sur les blogs ces temps ci.
j'aimerais avoir plus de temps pour savourer la qualité de tes textes et de ton univers...
mais ...
chaque chose en son temps. Et déjà de savoir cet univers existé, ça fait plaisir:)

Jack a dit...

Le show au Centre Bell? J'en reviens. Robert Bob était en grande forme. Musique américaine blousée rock avec racines pénétrantes. Et toujours ses points d'interrogations au bout de ses strophes... C'est lui le boss! Même ma blonde est contente!