10 novembre 2006

On voudrait tant qu'elle tambourine



À même les nuages qui grimacent,
l'automne ravale sa dernière poignée de somnifères
crachotant ici et là froid de brume
sur la rouille échevelée de la forêt supervirente

Les araignées grattent le fond de l’air
sur les contrebasses de l’invisible

Une perdrix vermiculée en statue de glaise grise,
dessoudée de son amour,
pour ne pas abîmer le désir, la survie plutôt
attend interdite sous les cèdres qui dégoulinent

Elle percole du cryptique sur le sol granuleux,
des graffitis, des espèces de soucis pulvérulents,
des zigzags en beurrées de cafouillis
pour les fourmis savantes en service jusqu’à la tombée

Avec sa queue fanée, en berne
fardeau inutile, jeûne sans apparats,

loin de la prairie qui l’a vu naître,
dans cette savane sombre,
tatouée de traces de guerriers,
elle traverse le qui-vive
en attendant le mauvais quart d’heure

Le cœur se débat
plus vite que le temps accroché
au sort qui en est jeté

Car l’ombre barbare émerge,
croasse de corneilles épluchées
dans la tranchée où barbotent
les portes du ciel fermées

Silence des mulots dans leur débarras,
prudence des grenouilles gelées
qui se regloupent au fond de l’étang
pendant que le chien braque au regard doré
renifle à travers les feuilles en tas,
bécassier idéal à la robe tachetée...

Mon Dieu que la veine de ce jour est noire!

Dans la filature du bois mauve
le moindre craquement broie les ailes

La prisonnière sur les épines
tourne un oeil, glisse une patte...

Le bon boubou, vandale à l’affût
gavé comme un professionnel,
se brasse le cul, décode les nœuds

Son museau est un mille-pattes
qui allume les idées,
charrie dans la piste un fleuve de bave

La petite poulie de nerfs
décoche un fil qui calcule ses chances

ô courant d’air par le chas de l’aiguille
ne fais pas dans la dentelle! Ne m’oublie pas!

Vole vole donc vole donc vole donc

Vole! jusqu’à la cime de la pruche noire
d’où l’on peut mesurer la mer de liberté,
la césure, le monde,

l’horizon clair transfiguré

au-delà des forces de vie et de mort

Crever le toit comme un jaune d'oeuf
serait alors un jeu d’enfant
plus loin, plus vite, plus haut
que les clous du chasseur
sachant chasser avec son chien chinois

le pourchasseur sachant pourlécher
s’agenouille dans les fougères mouillées
pour reprendre son souffle d’argent

Mais la perdrix, joli gibier de folklore
et son oeil et sa poitrine brunâtre
ne sont-ils pas déjà parfaitement affûtés
dans la chaîne de la babine?

Mais quelle terre du Sud ou du Nord
voudra accorder asile
à une perdrioche anonyme qui s’exile,
qui n’est certes pas une zibeline,
qui n’est pas aussi huppée que la gélinotte,
n’a pas énormément de gernigoine?

C’est comme la paume des poètes
C’est pauvre pour bâtir maison!

On voudrait tant qu’elle tambourine
raide à travers les branches
par le chemin secret
qui mène au bleu vivant

On vaudrait qu’elle s’enjôle de sa sauvagerie
qu’elle se fasse gicler de l’indomptable
qu’elle tambourine enfin
en se levant d’un coup sec
comme l'esprit dans le sable
crinqué par le vent!

Et que rien ne revole
pas une seule goutte de sang!

On voudrait que dans la poussière de pierre et d’os venue,
le chasseur impénitent, manitou, se fasse Riopelle ou Perrault
habité par le vent, les banquises, l’enfance et le blanc, l’encre et le tout nu,
qu’il puisse, s’il le faut, dégrafer la bête avec la bouche
comme la truite sortie du ruisseau par l’hameçon

paraphrasés par le miracle, la bête et l’homme et le fanal
dévoilant les rivages qui se superposent,
ces galets infinis de leur mémoire abracadabrante,
marchent ensemble au coeur des quenouilles...

On voudrait tant qu’elle bardasse les mauvaises herbes,
qu’elle brise les verbes de roches sur le tas de langues
qu’elle s’infiltre dans la prison de nos têtes pendantes,
ces foutus mécanos qui chassent jour et nuit!

L’automne plaqué or coupant court
remballe son tam-tam, son confiteor,
ses fausses vendanges, ses foulards tricotés de récoltes
dans les petits casseaux évanescents,
ses boutonnières de cannelle de pot sous le manteau,
ces boisseaux de mots crochis, cruels
sa mise à mort si lente

Une petite pluie fine inaudible dans le val
telle une fable dans l’oubli
désosse maître et chien
sur le pas de porte de la nuit faite

Il peut venter, grêler, faire tous les temps,
comme dit la chanson,
une rescapée gris roux aux yeux étoilés
se berce sur le plus haut balcon
d’une pruche incandescente

Et le bon chien fidèle revenu bredouille
se déruche l’aventure dans son ventre raccommodé

pendant que son maître en pantoufle d'hiver
regarde un film bien ordinaire à la télévision.



Photo : FindNature

11 commentaires:

Nina louVe a dit...

Quelle magnifique poésie ! Je l'ai bue lent - amen - té. Bonheur rempli d'images fortes autant que douces. Une heure, la deuxième fois, que j'ai savouré ce texte.

Jack, je vous lance un défi. Vous, en chair et en papier Au Festival International de Poésie de Trois-Rivières pour l'édition 2007 ? Ça vous laisse un an pour cogiter, écrire, démarcher et vous inscrire comme poète. Car ici, chez vous, on sourit, on tremble et s'émeut.

Onassis a dit...

Jack, je vous sais fonceur de peu peureux. Le défi..le défi...il va le croquer le Jack ;)

Nina louVe a dit...

Merci Onassis de titiller de votre côté. On s'a Muse .

Jack a dit...

Oh!

Merci vraiment beaucoup. C'est touchant de croiser des yeux de haut vol qui s'arrêtent chez vous. Merci.

Aussi nono que cela puisse paraître, j'ai suivi les galas de 3Riv. au temps où ils étaient diffusés à Radio-Can (j'ai encore quelques cassettes ad usum privatum), j'ai écrit à un poète américain habitué du festival, j'ai publicisé l'événement chez des amis en Europe, etc., mais je n'ai encore jamais fréquenté en personne, comme auditeur-spectateur, ce grand carrefour! Paresse? Trop occupé ailleurs? Pas très mondain? Outsider? Timidité? Mais qui ne souhaiterait pas voir ses mots voyager dans la tête du monde? Pour le plaisir bien narcissique de croiser encore en vos parages d'illustre inconnu des yeux de haut vol.

Nina louVe a dit...

Alors le sort vous est lancé ! À vous seul de le prendre ou le jeter. (sourire) Vive les défis, la constance mène.

Pour vous rassurer Jack, ce n'est pas un événement mondain. Le Zénob et tous les peits cafés où l'on écoute des poètes en dînant, ou encore en marchant dans un parc, dehors accompagné de violoncelles, guitares et peintres en direct. Allez voir la programmation de la dernière édition. Ne faites pas comme tous ces gens qui pensent qu'un poète est un être inaccessible, irrascible et ou fendant ou pire parano dépressif éteint et alcolo. Bon sang ! La poésie c'est tellement vrai. C'est la vie avec un peu plus d'émerveillement ou de souffrir, ça dépend si ça détend.

Jack a dit...

Eh! bien, je trouve cela très drôle, surtout très bien dit. «La constance mène.» Je suis profondément d'accord avec ça.

J'ai été invité au FIL par Michel Garneau en 2003 et tout le monde était bien content de ma présence. J'en ai surpris quelques-uns. Pierre St-Jak accompagnait aux claviers. C'était si ensoleillé en cette fin d'après-midi à l'Alizé! Avant cela, mon rapport «public» s'est fait surtout par la radio et surtout par la voix des autres. Le jour où j'ai entendu Sylvie Drapeau lire à la radio un de mes textes, je me suis dis : Oh! boy! Quelle musique! Ma bouche ne va pas à la cheville des pros. Plus tard, aux Décrocheurs d'Étoiles, Garneau qui aimait beaucoup mes textes en a pris une vingtaine. C'est mon seul «éditeur» à date. Ce sont de belles fleurs à ma boutonnière. Mais tu vois Nina, mon défi, il est aussi en relation avec ces grandes voix qui ont habité mes humbles «compositions». J'ajouterais que toute cette essentielle petite histoire demeure assez marginale jusqu'à maintenant dans ma vie de famille, boulot, études (permanentes comme chez les coiffeuses...), terre familiale à la campagne, plus une extrême lenteur personnelle en tout... Mais il reste que la poésie est un fil rouge qui m'a permis de ne pas trop me perdre. Cette petite unité, j'y tiens car j'ai la conviction profonde que c'est moi. Voilà. C'est un peu comique tout ça, non?

Nina louVe a dit...

Comique ? Non. Constant. (sourire)

Anonyme a dit...

Que du bonheur !

je vous découvre à l'instant Jack

votre signet fait désormais partie de ma vie littéraire, et je vous en remercie

merci pour une telle écriture donnée ainsi sur un carnet, sans attentes en retour, merci !

ça nous encourage à être généreux..

G'F
( en espérant que je n'aie pas doublé le commentaire )

Jack a dit...

Votre commentaire, G'F, n'est pas doublé mais fait boum boum! Votre signature est bien discrète! Merci pour l'honneur que vous me faites.

Anonyme a dit...

J'avais lu chez Lèche-blog que vous répondiez aux commentaires, ce qui est plutôt rare, et vrai !

1. quoique à des années-lumière de la mienne, votre écriture me nourit d'images folles, d'associations de mots improbables à mon esprit, mais qu'il fait si bon lire

2. si vous « jetez » un oeil sur: monencre.blogspot.com au détour d'un clic un jour, vous y découvrirez la signature d'un poète inconnu et presque secret sur le web. ( mon carnet n'est listé nulle part )

c'est moi qui serait touchée de votre visite, ne serait-ce que le temps d'un café..
G'F

Jack a dit...

J'irai avec plaisir.