Crédit photo Jacques Bellefleur, bar l'Alizé, printemps 2003. |
Copie de lettre à Hugues Corriveau, critique littéraire au Devoir
Cher Monsieur,
Je suis un fan de Michel Garneau, pas du tout un fin connaisseur de son oeuvre qui est considérable. Comme je l'ai écrit à Maxime Catellier de la revue Ici, je suis heureux de lire les recensions de ses récents ouvrages car, par le passé, j'ai remarqué un silence étonnant sauf lors de la ré-édition des Petits chevals amoureux. Comment pourrait-on imaginer la publication d'un livre de Michel Tremblay qui passe dans le beurre? Ou un disque de Vigneault? Alors pourquoi Garneau? Parce que ce n'est qu'un poète?
Je suis donc heureux de vous lire également dans Le Devoir de cette fin de semaine.
Je suis donc heureux de vous lire également dans Le Devoir de cette fin de semaine.
Je n'ai pas encore lu Le Museau de la lune, mais je me permets de réagir rapidement à l'une de vos remarques.
Citant Garneau, vous écrivez : «Il y a même du Jacques Languirand qui s'immisce parfois: «l'instinct est spiritualité / ça nous enrage mais l'instinct est spiritualité / et ne cherche que le miracle de la naissance».
Je ne suis pas très langoureux moi-même. Mais je ne crois pas du tout que le lien que vous faites soit pertinent. Mais je crois par contre que vous résistez au terme «spiritualité». Qu'est-ce que cela veut dire pour vous? Une espèce de tripation naïve?
Quitte à être dans les patates, j'entends pour ma part la citation tout autrement. D'abord, Garneau qui se dit nu de diplômes lit les philosophes. Et c'est un lecteur intelligent qui a soif, qui aime s'abreuver, c'est-à-dire qu'il va aimer composer avec les idées pour ouvrir des fenêtres. Pas pour faire le beau. Ce n'est pas aussi courant que l'on pense. La plupart du temps, on hait la philosophie, la pensée.
Garneau a notamment lu Wittgenstein. Or quiconque a creusé un peu ce philosophe des jeux de langages, des formes de vies et des collisions qu'ils recouvrent en vient à entrevoir l'engagement spirituel radical de l'auteur des Investigations.
La spiritualité est d'abord une mise en scène, disait-il. Encore faut-il prendre conscience de l'ensorcellement du langage, son dogmatisme. Encore faut-il prendre conscience des différents masques qui sont à notre portée en tant qu'être de langage. «Entendons» les masques au sens ancien du théâtre grec où ils jouaient, entre autres, le rôle de haut parleurs. Il nous faut des masques et des mises en scène. Telle est notre condition. Or le passage si risqué vers le dialogue, la création du sens comme tiers jeu pour se comprendre et vivre ensemble, cet engagement-là est certainement d'ordre spirituel. Pourquoi? Parce qu'il est traversé d'incertitude.
De son côté, le philosophe Jean-François Malherbe définit la spiritualité ainsi : «Rapport qu'un sujet s'autorise à la surprenance». Qu'est-ce que la surprenance, sinon le «surgissement irrépressible de quelque chose qui dérange». Cela peut être certes un beau dérangement comme l'improvisation brillante qui m'advient comme un coup de grâce quand je «pratique» l'harmonica.
Il me semble que si le poète Garneau est habitué à s'ouvrir à la surprenance, car cela est inévitable dans le processus de création, il sait très bien, néanmoins, qu'il y a une distance, que ses mots même les plus chatoyant ne sont qu'un reflet de la fulgurance, que la boite à surprises est parfois muette comme une tombe.
Tous les artistes attentent l'étincelle de la naissance. «Ça nous enrage, mais l'instinct est spiritualité». J'entends ici : c'est enrageant, mais on ne sait jamais! On ne peut jamais savoir où tout cela va nous mener. Et l'on renifle l'air du temps avec le museau fragile mais étonnant dont on est l'héritier éphémère.
Il y a la rage. Mais un poète ne fabrique que des vers, après tout. Il y a alors la joie d'être en mouvement avec si peu d'éléments au sein de l'univers.
Il existe toujours un écart entre nos pratiques et nos affiches, dit encore Malherbe. De la spiritualité on passerait ici à l'éthique, autre mot galvaudé mais mieux reçu que le terme spiritualité dans le vieux Québec de la Révolution tranquille.
Quant au miracle de la naissance : un artiste est-il jamais né? Un artiste reste peut-être la figure emblématique de l'humain fini d'avance mais qui pourtant avance (parfois) avec confiance dans le mouvement de sa propre auto-poësis.
Deviens ce que tu es, dit Nietzsche. C'est effectivement là affaire d'instinct et de spiritualité. Il me semble.
En tous les cas, je n'irai pas par quatre chemins pour vous dire que le dossier de la spiritualité qui va de Socrate à Maître Eckart, de Spinoza à Wittgenstein, en passant par Anna Arendt et bien d'autres, offre une épaisseur philosophique que soupçonne un peu la petite phrase de Garneau, mais pas du tout votre remarque.
Cela étant dit amicalement (...)
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Monsieur (...) bonjour
Hugues Corriveau
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Sur l'entrefait, j'ai reçu un beau petit coup de museau de la lune. J'ai flotté quelques heures en marchant avec mon chien qui m'a conduit au parc Pierre-Bernard. Tout ça se tient. Comme un théorème, dirait Michel Garneau.
Il vaut la peine que je cite juste un petit quartier supplémentaire pour éclairer dans le texte le passage cité et commenté par Corriveau.
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Monsieur (...) bonjour
Juste un merci vraiment sincère pour votre commentaire étoffé et fort bien mené à partir d'une de mes remarques qui vous a titillé un peu concernant notre bon Michel Garneau. Votre texte intelligent ne peut que m'aider à mieux approfondir à une oeuvre importante.
Passez, je vous prie, une journée magnifique.
Hugues Corriveau
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Sur l'entrefait, j'ai reçu un beau petit coup de museau de la lune. J'ai flotté quelques heures en marchant avec mon chien qui m'a conduit au parc Pierre-Bernard. Tout ça se tient. Comme un théorème, dirait Michel Garneau.
Il vaut la peine que je cite juste un petit quartier supplémentaire pour éclairer dans le texte le passage cité et commenté par Corriveau.
la lune est un clin d’oeil d’éros
regardez-là rire avec son sourire croissant
elle se moque de nous très royalement
elle lance sur nous les chevaux arrogants de la nuit
ceux-là même qui nous font lunatiques
pour bien la servir
qu’elle s’amuse pleinement
quand les chevaux luisants
nous jettent dans nos cuisses
pour perpétuer le monde
en se croyant même égoistes
alors que la nature nous force
et c’est ce qui amuse tant la lune
à très altruitement perpétuer l’humanité
nous croyons jouïr nous perpétuons
nous nous croyons libertins nous génitons
nous ne voulons que le plaisir
mais l’instinct est spiritualité
ça nous enrage mais l’instinct est spiritualité
et ne cherche que le miracle de la naissance
que le plus grand des bougres bougrant
mime quand même
Michel Garneau, Le museau de la luneÉd. L'Oie de Cravan, 2006, 52 p.
Michel Garneau, Le museau de la luneÉd. L'Oie de Cravan, 2006, 52 p.
18 commentaires:
Dis moi, elle date de quand cette lettre ?
Du 26/11/06. Pourquoi?
Pour: tous les pourquois. Bravo Jack. Du cran et de l'audace, mhiumm. Yes!
VITAMINE LETALE
La poésie ne cristallise jamais et déflore les langages de taxidermistes, tel un cunnilingus de feu entre des jambes infécondes. La poésie préexiste à l'instant même où le poète armé de mots-rabots commence à en caresser le bois; La poésie est un bloc de silence évanescent, feu liquide que sculpte la matrice aux cheveux d'ange en furie, guidée par le canon à ultrasons de l'aurore et les lasers insomniaques de l'absence d'ambiguité. La poésie fait valser les planètes dans la main du jongleur, les galaxies s'asservissent à la voix arrogante qui prêche la douceur des embruns incendiaires, les constellations irradient la jouissance des taxis de brousse au sortir des forêts d'asphalte, les mers d'uranium liquide font germer les champignons atomiques dont les fertiles spores stériles recréeront de nouveaux big-bang dans les sphères insensibles des mondes de la poussière. La poésie est une sottise en forme de canne sans sucre, un défoliant majeur à l'arôme extatique, une tranche de napalm sur un canapé de pain viennois.
C'est magnifique. Et ça traverse l'océan. Merci d'avoir jeté un pont. J'ai tenté sans succès de laisser un mot chez-vous. Chez-vous, c'est vraiment beau. C'est un puits à l'envers, un feu de pluie et de voyelles, c'est un barrage de castors volant. C'est un chant concentré surtout. C'est magnifique et étonnant. Merci encore, gmc.
j'étais abasourdi par ta réponse jack, et que dire de celle de gmc! un autre blogue à découvrir: ça vas-tu finir? :)
je viens de terminer ell&il sur les chapeaux de roue, 18 chapitres époustouflant comme ta lettre et, oserais-je dire, aussi lethal que le lance-missiles de gmc.
(Oui!) Au moins Monsieur Coriveau a eu l'amabilité, la délicatesse de vous répondre Mister Jack. Combien de missives à la mer ? Combien de réponses muettes ? Je lui offre mon respect. Sincèrement. Il ne semble pas cloîtré dans l'orgueil ni massérer debout sur un piedestal. Accepter l'opinion de l'autre et y trouver à réfléchir plus encore, voilà un pur journaliste. Bel être humain que ce Coriveau. Ça me donne presque envie de me réabonner au Devoir.
Merci Jack de témoigner, t'exprimer. La poésie a besoin de cette fougue, cette Foi.
Pardon, deux R à monsieur Hugues CoRRiveau. (D'solée.)
Nina, bien sûr que j'ai été content d'avoir un mot de Corriveau. Je l'ai remercié. Ceci étant dit, il y a sans doute beaucoup d'autres raisons de s'abonner au Devoir...
Merci de nous partager monsieur Garneau. Qui sait ? Je le lirai à Cuba.
Bon vendredi Jack.
Garneau :j'intuitionne que son autre recueil récent paru aux éd. Trois Pistoles, Le dessein des mots, te plairait vraiment. Outre tes agrès à pêche de grands six pieds et ta clarinette, qu'est-ce tu emportes côté lecture?
du Jack: Rivebelle (paru sur papier aux non-éditions Louve en appétit), Amin Maalouf (n'importe lequel), des cahiers blancs pour écrire, des pastels à l'huile (histoire de dessiner quand le verbe me laisse).
Pas besoin d'agrès... ni de déguisement. Du vrai, tout simplement. Il y a déjà un plus de six pieds polyglotte, docteur en philosophie, qui m'attend avec des musiques sur la bouche. (7 dodos et je m’exile !!!)
Nina, es-tu certaine que Rivebelle pourra passer sans encombre les douanes cubaines? Si oui, verse une goutte de rhum, une larme de louve et disperse un peu de sable fin entre les mots. Au retour, ne déclare surtout rien aux doigts niés canadiens.
Je suis certaine que Rivebelle passera d'un pays à l'autre. Aller: peau blème Retour cuivré.
À cause, parce que, grâce à Rivebelle, louve a cessé d'écrire plusieurs jours. Coudonc Jack, qu'est-ce que tu as mit là dedans ?
Je te remercie, même si j'ai crains ne plus retrouver l'encre. Même si je n'ai pas compris pourquoi ni comment Rivebelle s'est fait refuge, antre.
Bang! Bang! Moi,je ne crains rien pour la source, Nina. Ton encrier déborde et qui a bu boira. Il y a d'ailleurs des soleils plus forts à venir sur notre chemin, nous le savons toi et moi. Mais je crois comprendre, imaginant le buvard qui porte ta main, qui rapaille les dessins et les barbots de tes mots, je crois reconnaître par la lucarne de ces quelques mots choyés, publiés, le regard vif qui réfléchit ce Roc central, chut! qu'on appelle la mort. Qu'on appelle parfois aussi la vie.
Rivebelle est un poème d'amour bien sûr. Je n'en ai pas fait des milliers, hélas! À ma grande honte. Je suis charmé qu'on puisse l'aimer. Je suis honoré. Plus que je ne saurais le dire. Et j'accueille ce joli nuage qui se pointe à l'horizon, au-dessus des mots, au-delà des frontières, les nôtres, je l'accueille avec la joie de l'oiseau un peu brouillé en nous qui fend le paysage et constate la fraîcheur de l'air transformé. La poésie, c'est aussi l'invisible entre la source et le soleil. C'est tantôt la pluie. Et après la pluie, c'est parfois le silence. (À la toute fin d'Incendies, quel renversant tableau quand la pluie acte le silence...)
Sommes-nous jamais seuls de ce côté des apparences? Cela dépasse l'intime, je pense.
Je crois que nous sommes en route et «dépassés» à la fois, pas à pas, mot à mot. Sans fin. Et qu'il faut compter sur nos doigts. Pour en avoir un coeur sage.
Sans fin.
Mais il nous arrive d'espérer poser enfin le pied sur la rive.
Merci de ta lecture qui m'accompagne!
Bang! Bang! Boum-Boum !
Tu aurais pu travestir ce commentaire, lui offrir un titre et le laisser couler en vers.
Rainer Maria Rilke serait jaloux heureux.
Je crois que l'on écrit des poèmes d'amour quand la faim arrive, qu'on espère ou que l'appétit manque et décide de planter son désert dans notre bouche. Pas à avoir honte de n'avoir pas tellement composé les rimes et les rythmes qui s'y cache, Jack. Tu aimes (!) c'est encore mieux que de le décrire en prose.
Ce verbe en trois temps: avant pendant après... Ce verbe, soucieux, content, joyeux. Dis merci de le poser dans ta paume ouverte.
Huit dix douze saisons passent, que je me demande si j'aurai encore cette verve, cet espoir d'abandon. Peu importe, je suis loin de l'amer, lovée confortable.
"Mais il nous arrive d'espérer poser enfin le pied sur la rive."
Parfois, par foi.
bravo!
Merci! Et bienvenue jeune Yassine.
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