09 décembre 2006

Prolongation

Je suis un gardien de nuit à la place de Wouf! Wouf! Ça fait deux mois déjà.

Je fais ma ronde, et dehors, en face de la shop, il y a la patinoire Hochelaga. Des cris, des crachats, des coups de lames sur la gorge du froid, des oreilles rouges, des imbéciles, des amoureux, des petits culs de broche à foin, je suis à l’affût de tout. Je les attends avec mes longs couteaux, mes coups de savate. Même si je ne sais rien faire de tout ça.

Je me fais des accroire, je délire un peu parce qu’il n’y a rien qui bouge ici... La lune reluit sur la glace et je m’enfonce encore une fois dans mes pensées, dans mes souvenirs de grands soirs. Au Forum.

J’adorais aller au Forum.

Assis au vieux Forum devant une colonne avec mon adolescence qui trotte en dedans de moi comme une fête. Une fois, j’avais emprunté pour la fin de semaine une trompette à l'Harmonie du Sacré-Coeur. Je ne l’avais pas dit au Frère Savaria, mais c’était pour la partie du samedi soir que j’irais voir avec mes frères. Montréal-Chigago. Hull-Ferguson. Je ne savais pas jouer de la trompette! Mais entrer au Forum, avec une trompette! C’est la gloire assurée! La foule, comme une charge de cheval, me réclama un tonitruant ta ta tan taTam! Ta ta Tan TaTam!



Je suis venu à bout de faire sortir comme une grosse envie un petit canard un peu crampette.

Ah! La bonne face de singe de Norm Worsley.

Vlà que j’ai changé de poil. Je ne trotte plus, je me frotte. Asteure, je suis un poilu plein de patches qui fume et qui danse au centre de la patinoire. Avec 15 000 personnes. Des militants. Le monde ne sait pas de loin si je suis un gars ou une fille, si je m'en vais ou si je m'en viens. Pauline Julien est la reine sur la scène du Forum en liesse. On ne fête rien de spécial. C’est un rassemblement pour l’indépendance! Elle chante La danse à St-Dilon. Ça saute. Tout est ouvert. Tout est permis par un soir de fièvre où l'on est bien. J’ai changé de poil comme un lièvre au printemps de 1973.

Mais une autre fois encore avant, nous revenions en char du Forum dans les bordées du Canton d'Ely alors que la radio passait le Neger Black d’Yvon Deschamps. Rire! Plié! Rire à 13 ans du bonheur gratis, de l'absurdité, de la chaise berceuse, des gros bras de moman, de pépère qui pue, des unions qu’ossa donne...



Photo : Yvon Deschamps, Pauline Julien, Georges d'Or.

Je pouvais japper franc dans la misère des bancs de neige de ma campagne alcoolique. Il se trouvait quelque part en ville un univers semblable au mien mais que je ne pouvais pas partager.

Je m'ennuie du rire seul de mes 13 ans avec la cigarette au bec. P’tit Christ!

Bon, je reviens. Je jette un dernier coup d’oeil à la patinoire d’en face qui est toujours allumée par le désir, on pourrait dire.

Je ferai ma ronde de long en large et je japperai dans les coins sombres comme il se doit. Comme il se doit. Sinon, Wouf! Wouf! ne sera pas content de moi. Va me flusher par la toilette. Il va me crier : «R'tourne toé s'en à Waterloo dans tes champignons magiques!»

Il n’aime pas que je lise pendant mon quart. Je lis quand même. Il me suspecte. Il est ignorant, mais il est ouaise.

Je m'ennuie quand même des Canadiens et de mes bagarres rangées d’autrefois! Ferguson-Eddie Shack! Ce n’était pas des petits bonhommes de jeux vidéo!

Je m’ennuie des arbitres pourris avec leur crâne de rat!

Mon existence est plate aujourd’hui. Le hockey, c’est nono. La grosse Mol est flatte. Où est l’effervescence des comiques? Tous sauf six en bas de la ceinture.

Où est passée la fête politique?

Je suis le gardien de nuit en rodage. Je suis à l’affût de tout avec mes grands couteaux. La shop est morte. J’attends. Je veille et je vieillis. Je sais que ce n’est pas la même chose.

Je pogne un poste de radio assez bon. Tout à l’heure, il y a eu cette chanson qui m’a saisi. Je ne me souviens plus des mots au juste. Ça disait :

«Reprochez-moi d'être embourbé dans l'espérance»

Puis une autre chanson du même type à la voix haute a suivi. Je le dis de mémoire :

«Nous sommes quelques-uns. Nous tenons le fanal allumé.»

5 commentaires:

Anonyme a dit...

L'espérance ou la vision, tout le monde a le choix de sa souscription.
Pourtant la vision passe par tout le monde, elle est simplement obstruée par avoir.

HOCHELAGA SLAM

L'espérance est un lit de braises
Qui ne s'embourbe au grand jamais
Même pour un très grand distrait

Dans la vision vient la synthèse
Ceci est pour les renonçants
L'abandon est le chemin blanc

La propriété est un dièse
Oblitérant le regard vif
Elle tue le sens olfactif

A l'intérieur la synérèse
Fait fondre les parois opaques
Hors d'un roseau finit la traque

Jack a dit...

C'est très beau et surprenant de voir le mot Hochelaga relancé, slamé ailleurs que dans sa forme de vie si montréalaise et si sauvage... J'ai cherché le mot synérèse. La synérère qui fait fondrent... Très efficace comme image et le mot joue avec dièse, synthèse... Les renonçants, l'entendrais-tu au sens de l'âme affranchie de Maître Eckhart (que je connais peu): vivre comme si nous étions mort? Être une image libre de toute image?

Anonyme a dit...

cesser de se prendre pour l'image qu'on croit être; donc rendre à qui de droit.

Jack a dit...

«Dans le glissement de la barque
Coupant la nuit vers le soleil
Se voit la force de l'arc...»

Quel talent pour faire image! Peut-être n'avons-nous, êtres de langage médiés (Wittgenstein) que des images, des masques pour communiquer. Les masques, ce n'est pas seulement pour effaroucher les oiseaux ou tromper, ou se tromper soi-même comme l'avaient bien compris les acteurs du théâtre antique. Le masque identifie, fait porter la voix... Peut-on se montrer sans se cacher? Peut-on chanter sans danser? À lire ces très beaux texte, je comprends un peu mieux, je crois, l'abandon qui anime chacun de tes passages. Es-tu porteur de valises translucides à la gare sans rails et sans mots de la voie pneumatique, là où les voyageurs se reconnaissent, dit-on, plus loin que la réalité physique(espace) où «la poussière» est estimée «A prix plus fort que le bitume», plus loin que la réalité psychique de notre enfance à aujoud'hui (le temps)? Mais la «conscience»? Les yeux rivés? La science n'explique pas toujours comment, pourquoi l'ouverture de l'être se produit, par la prière, la contemplation. la poésie; comment il se fait que des médecins africains, tout doc qu'ils soient, soignent des patients à distance? Notre parcours n'est-il pas de parler à la fois du jour et de la nuit, de conjuger temps, espace et univers?

Je prends ici le masque du perroquet bien plus que je n'affirme.

Jack a dit...

... la synérèse qui fait fondre

Et ce cher Gilles Marie qui n'est plus.