28 janvier 2007

Carnets pelés 9 - Sursauts


Ottawa, 24 septembre 2004

Dans ma chambre d'hôtel. Un document de France 3 daté de 1996 passe à la télé. Je ne le sais pas encore, mais Françoise Sagan n'est plus, ni son toupet dans les yeux, ses yeux ronds, ni son acide de nuit, ni sa tristesse de femme riche et pauvre, ni ses bonjours de femme libre. Le document porte sur elle. Quelle précision dans son regard! « Je lis beaucoup », dit-elle. « Si on a lu Proust une fois, on ne l'a jamais lu. Il faut le lire cinq ou six fois. » Et d'ajouter : « Les livres ne servent pas à grand-chose (...) Mais sans eux, je ne sais pas ce que je deviendrais ». Ailleurs, dans Derrière l'épaule (1998), on peut lire : « De plus, que l’on me croie ou pas, je n’ai jamais relu mes livres, sauf Dans un mois, dans un an, unique lecture traînant dans un avion. Je le trouvais pas mal, d’ailleurs. Mais depuis, rien. On me parle d’un personnage, on me jette à la tête des prénoms, des scènes, des moralités bien lointaines. Ce n’est pas la qualité de mes oeuvres qui m’amène à cet autodédain, mais la conscience que de nombreux livres m’attendent encore sur quelque étagère, des inconnus que je n’aurai sûrement pas le temps de lire avant ma mort. Alors relire un livre de moi (moi qui en connais la fin, en plus), quel temps perdu! »




Bureau, 30 novembre 2004
J'étais si fatigué la nuit dernière alors que je corrigeais mon travail fourre-tout de faux-filets sur Hegel que j'ai rebaptisé Rivet. À un moment donné, j'ai passé tout droit. Je suis tombé dans une espèce de rêve quasiment éveillé. Je dis quasi. Je ne sais plus si j'ai dormi. Mais il y avait cet impressionnant halo bleu, comme un creux enveloppant la nuit noire. Est-ce que ça sentait l'essence? Il ne faisait pas froid. Il me semble. Alors, pourquoi en parler? J'étais avec quelques personnes, mais qui? Sur une espèce de quai. Nous étions sur la pointe des pieds, sur le point de partir, mais où donc? Du bleu, de l'eau et une absence de l'ailleurs. Rêver qu'on appareille vers un ailleurs absent avec des ombres parlantes qu'on ne peut nommer, est-ce présumer de la mort? Il ne faisait pas froid. Je suis remonté à la surface d'un coup sec.


Maison, 1er janvier 2005
J'ai senti que je ne possédais plus rien dans mes bras.




Maison, 7 janvier 2005
Rivet, je suis très fatigué. Travaillé jusqu'à 4 h ce matin. J'ai repris de 8 h 30 jusqu'à 14 h. Interlude dehors avec le chien jusqu'à 15 h. Je pense que le monstre sera abattu cette nuit. J'ai pensé à Baillargeon à cause de la réponse à Custeau que je devrai faire. Je me suis demandé : va-t-il toujours aussi loin dans ses lectures? Puis, d'un bloc massif émergent Russell, Prévert, les centaines d'autres. Pourquoi suis-je si piètre lecteur? D'où me vient cette aliénation? Bon! Ce carnet perd de sa rigueur. Faudra y voir.


Métro Radisson, 3 février 2005
Je découpe une photo parue dans le journal gratis du métro. « Les couguars, toujours présents au Québec ».

Béthanie, 5 février 2005
Je suis assis dans la balançoire. Il fait un soleil d'avril. Il y a de l'égouttement par les toits autour des bâtiments. J'ai oublié mes lunettes. Je ne pourrai pas faire vieux yeux, même en plein soleil, moi qui souhaitais terminer Bienvenue au club de Jonathan Coe. J'aurais souhaité donner mon exemplaire à André, c'est son anniversaire demain.

Maison, 5 mars 2005.
Rêvé à ma mère qui basculait de la rampe de la chambre d'en haut, à Béthanie, puis tombait dans mes bras, les yeux révulsés. Juste avant, j'avais profité de son départ (où?) pour jeter les couteaux et le linge sale de ses tiroirs. Ne restaient plus que ses vieilles brassières. Plus tard, je l'entendis bardasser dans ses tiroirs... Je me disais : elle ne trouvera plus rien! Puis, elle tombe. Elle meurt. Je la recueille. Je suis sans voix. Je crie sans qu'un seul son ne puisse atteindre l'air. Il y a près de moi ma fille S., jeune enfant, qui ne réagit pas à ma stupeur. Là-dessus, je me suis éveillé en sursaut.



10 commentaires:

Anonyme a dit...

Tu n'es jamais aussi bon que quand tu parles de toi, mon cher Jacques. C'est très touchant. C'est très gris pâle. C'est très nostalgique. Mais surtout, très heureux...

Anonyme a dit...

Cher Jack...il y aura soirée de poésie assez spéciale prochainement, lancement de 3 recueils , ce prochain mardi le 6 février, par la seule maison d`édition sans subventions...alors si ca vous interesse ja vous donne les coordonnées......Yvon...Noires poésies...

Anonyme a dit...

Cher Yvon, serez-vous lancé vous itout? Ça m'intéresse hautement mais je dois décliner. Je quitterai le pays le lendemain pour trois semaines. Bonne soirée.

Anonyme a dit...

Onassis, je crois que tu préfères la prose et que tu aimes mieux me lire ainsi. Ce que tu dis me plaît bien : du gris pâle sur fond de bonheur. Ici et là, je fictionne librement. Mais je vais conserver cela en tête. Merci!

Anonyme a dit...

Fictionne, fictionne cher ami. Parce que tu le vaux bien :)

Anonyme a dit...

Cher Jack...

Je serai au FVA ce vendredi et samedi au open-mike a la Casa...J`y réciterai alors mes textes en jouals, ce qui est fort différents de ce que tu a entendu au St-Ciboire...Y sera-tu...Oseras-tu ???

Yvon Jean...

....Noires Poésies.....

Anonyme a dit...

Yvon au FVA. Félicitation! Ça sera sans doute super. Mais je suis à quelques jours d'un départ et mon temps est compté. Je regrette de manquer le rap au Quai demain soir, une panoplie de soirées du FVA et la slam à nouveau le 14!

Anonyme a dit...

Carnets pelés...comme une peau qu'on a trop grattée ? Ca démange de partout souvent les souvenirs.
N°9 : il y en a huit avant? Je n'ai pas vu de rubrique "catégorie"..J'aimerai bien lire ces carnets tout rongés par le psoriasis

Anonyme a dit...

yggd -test

Anonyme a dit...

Les carnets 4 à 9 sont accessibles avec le libellé «Carnets pelés» qui se trouve à la fin du texte. Les précédents sont sur mon ancien blogue Libre Salmigondis dans les archives du 11/08/06 et15/08/06; il y a le # 3 que je ne trouve plus Cf. adresse avec «Jack Salmigondis» ci-haut.

Dans mon intention, il n'y a rien de douloureux, a priori, dans ces carnets que je reprends en faisant des «cut off» plus ou moins homogènes. Poutant,ces carnets existent depuis des lunes et me servent à capter sur le vif, à crayonner les impressions, mouvements, conversations dans le métro, etc. J'ai photographié pour vrai quelques pages ce ces carnets Claire Fontaine pour ce blogue... J'ai davantage idée de faire émerger des pelures de mots, de phrases, pour donner à penser ce qui resterait de communicable, de «cuisable» une fois la distance du temps passé dans le fouilli des jours. Les squames de psoriasis sont donc ténus, un tout petit peu au cuir chevelu et dans le haut intérieur de l'oreille droite, juste un peu de neige parfois qui paraît sur les épaules lorsque je porte du noir. Nostalgie? Je ne crois pas. Merci Rimailleur de votre visite. Toujours un plaisir.