Je pique cet intitulé pour interstice céleste futur
au récent film de Louis Garrel,
Les amants réguliersque j'ai vu après tout le monde en DVD
et dont la trame est divisée en quatre mouvements,
aussi bien dire en quatre poèmes.
Garrel, c'est 40 ans de cinéma français, 27 films dont
La cicatrice intérieure,
L’enfant secret,
J’entends plus la guitare,
La naissance de l’amour,
Le vent de la nuit,
Sauvage innocence (...)
Je n'ai hélas vu aucun de ces films.
Peut-être les ai-je manqués,
mais sont-ils seulement jamais passés ici?
Garrel c'est aussi le père
du jeune acteur Louis Garrel
qui joue François dans les Amants,
rôle qui lui a valu un César en 2006.
Il me semble que Garrel réussit à recréer dans cette oeuvre
la lente profondeur de la vie.
Par exemple, prenant le contre-pied
de tout ce qui s'est fait en la matière,
il creuse, il plante avec la caméra une féroce bataille de rue (mai 68)
qui commence par un plan fixe d'au moins 10 minutes...
Tout est cependant relatif puisque le film dure au total 2h59!
Dans les scènes plus dialoguées, on oublie le jeu des acteurs tellement l'identification est plausible. La fiction est démontée par une mise en scène en apparence banale où les gestes naturels et nonchalants des personnages nous rejoignent d'emblée. Ces jeunes dans la vingtaine, malgré la singularité de l'époque et du lieu, ressemblent à d'autres jeunes, ressemblent à ceux que nous aurions pu être.
Cependant, l'impact politique direct de mai 68 sur la société française est omniprésent dans ce film. Alors que dans Les Innocents (Dreamers), que j'ai aimé malgré les critiques généralement sévères, entre autres à cause du rapport à la musique et dans lequel Louis Garrel jouait également, un Bertolucci s'intéressait davantage à la contestation vue à travers le philtre d'un trio d'adolescents qui s'isolent de la rue où tout s'effiloche et expérimentent jusqu'à l'excès l'affirmation romantique du «je», du devenir soi. Mai 68 n'est qu'un arrière-fond alors que chez Garrel, nous sommes dans la continuité incarnée de la révolte. Pour un garçon comme François, être en continuité signifiait aussi tout go être en rupture. Avec le recul de quarante années, c'est bien lui, François, graine de poète, le plus engagé, le plus soixante huitard, celui dont la voix nous parle encore aujourd'hui. C'est bien le poète si peu sûr de lui qui nous incite à la liberté. Et donc, je m'excuse, à la révolte.
Dans Les amants réguliers, il y a le remarquable trajet des mots quotidiens
sur fond d'appétit de vivre de cette bande d'amis dopés à l'os
en train de recréer entre eux la mise en commun du sens,
ce recommencement obligé à chaque nouvelle génération.
Pourtant, on ne cause pas mur à mur dans ce film bien français...
Récit incertain mais critique des gauchistes,
fainéants, rêveurs, artistes, intoxiqués de tout poil,
ces nouveaux amants réguliers mais désunis qui veulent
«prendre le temps de vivre».
Puis, sur le même trottoir, le récit empesé, conformiste, grandiloquent
des autorités, gendarmes, commissaires de la Défense nationale, avocat...,
malgré la révolte et le contexte bigarré qui bouleverse tout l'Occident.
Mais quand on a 20 ans et que la révolution avorte,
et même quand on est vieux comme le grand'père de François -
le grand'père véritable de Louis? -,
on pense que plus rien ne bougera avant...
oh! on ne saurait dire combien de temps!
C'est là une méprise, bien sûr. La marche des peuples est lente.
Nous le connaissons bien ce découragement
comme si nous l'avions tricoté nous-même!
Garrel montre que la vie a néanmoins changé,
que la notion de commandement s'est effritée.
Certains n'iront plus travailler comme avant.
François, l'insoumis, l'enfant de la patrie dit non,
écope de six mois de prison avec sursis
pour avoir dit non au service obligatoire....
Posé, sensible, étudiant décrocheur, poète à ses heures,
vivant au crochet d'Antoine qui a beaucoup de blé,
malgré sa déroute personnelle et l'abandon qui se tisse,
François, un être très doux, tente jusqu'au bout
la liberté en regard de l'amour.
En tous les cas, il n'enferme pas sa blonde Lilie
comme un oiseau...
Il aime sans condition.
Est-ce si commun?
Nous rappelant le possible d'hier,
ce film porte un regard qui tonne sur aujourd'hui.
«Viens, écoute ces mots qui vibrent
sur les murs du mois de mai
Ils nous disent la certitude
que tout peut changer
un jour...»
(Le temps de vivre, Moustaki. Je cite de mémoire.)
La vie a changé, mais les humains restent, peu importe, seuls
dans leur humaine condition,
toujours seuls sur le chemin, dira François Dervieux.
Puis, tous peuvent être frappés d'impossibilité.
Le dernier mouvement du film,
rapide, syncopé, intitulé «Le sommeil des justes»,
nous fait basculer définitivement du politique au privé,
le privé est politique disait-on...
Le combat de François pour l'intégrité s'éteint
derrière une dernière barricade,
celle de la mort.
Mais comme le remarque André Roy,
(voir son excellente critique dans 24 Images, Numéro 28, aut. 2006.)
c'est sans pitié que l'on embrasse toutes les morts successives
qui traversent l'existence des personnages.
D'où ce beau mot d'inamertume,
proche de la dignité et du courage, je crois bien,
ce «mot d'ordre» pourrait-on dire en écho aux «camarades» du film,
évitant toute complaisance, nostalgie, moralisation,
mot qui s'infiltre à une époque, la nôtre,
si dégoulinante de morosité.
Il y a dans ce film touchant des images d'une grande poésie,
ce qui n'est pas sans douleur.
À la fin de ce drame, il nous reste de simples munitions,
des mots et des images en noir en blanc...
en noir et blanc,
avec des éclats d'inamertume pour continuer notre chemin.
au récent film de Louis Garrel,
Les amants réguliersque j'ai vu après tout le monde en DVD
et dont la trame est divisée en quatre mouvements,
aussi bien dire en quatre poèmes.
Garrel, c'est 40 ans de cinéma français, 27 films dont
La cicatrice intérieure,
L’enfant secret,
J’entends plus la guitare,
La naissance de l’amour,
Le vent de la nuit,
Sauvage innocence (...)
Je n'ai hélas vu aucun de ces films.
Peut-être les ai-je manqués,
mais sont-ils seulement jamais passés ici?
Garrel c'est aussi le père
du jeune acteur Louis Garrel
qui joue François dans les Amants,
rôle qui lui a valu un César en 2006.
Il me semble que Garrel réussit à recréer dans cette oeuvre
la lente profondeur de la vie.
Par exemple, prenant le contre-pied
de tout ce qui s'est fait en la matière,
il creuse, il plante avec la caméra une féroce bataille de rue (mai 68)
qui commence par un plan fixe d'au moins 10 minutes...
Tout est cependant relatif puisque le film dure au total 2h59!
Dans les scènes plus dialoguées, on oublie le jeu des acteurs tellement l'identification est plausible. La fiction est démontée par une mise en scène en apparence banale où les gestes naturels et nonchalants des personnages nous rejoignent d'emblée. Ces jeunes dans la vingtaine, malgré la singularité de l'époque et du lieu, ressemblent à d'autres jeunes, ressemblent à ceux que nous aurions pu être.
Cependant, l'impact politique direct de mai 68 sur la société française est omniprésent dans ce film. Alors que dans Les Innocents (Dreamers), que j'ai aimé malgré les critiques généralement sévères, entre autres à cause du rapport à la musique et dans lequel Louis Garrel jouait également, un Bertolucci s'intéressait davantage à la contestation vue à travers le philtre d'un trio d'adolescents qui s'isolent de la rue où tout s'effiloche et expérimentent jusqu'à l'excès l'affirmation romantique du «je», du devenir soi. Mai 68 n'est qu'un arrière-fond alors que chez Garrel, nous sommes dans la continuité incarnée de la révolte. Pour un garçon comme François, être en continuité signifiait aussi tout go être en rupture. Avec le recul de quarante années, c'est bien lui, François, graine de poète, le plus engagé, le plus soixante huitard, celui dont la voix nous parle encore aujourd'hui. C'est bien le poète si peu sûr de lui qui nous incite à la liberté. Et donc, je m'excuse, à la révolte.
Dans Les amants réguliers, il y a le remarquable trajet des mots quotidiens
sur fond d'appétit de vivre de cette bande d'amis dopés à l'os
en train de recréer entre eux la mise en commun du sens,
ce recommencement obligé à chaque nouvelle génération.
Pourtant, on ne cause pas mur à mur dans ce film bien français...
Récit incertain mais critique des gauchistes,
fainéants, rêveurs, artistes, intoxiqués de tout poil,
ces nouveaux amants réguliers mais désunis qui veulent
«prendre le temps de vivre».
Puis, sur le même trottoir, le récit empesé, conformiste, grandiloquent
des autorités, gendarmes, commissaires de la Défense nationale, avocat...,
malgré la révolte et le contexte bigarré qui bouleverse tout l'Occident.
Mais quand on a 20 ans et que la révolution avorte,
et même quand on est vieux comme le grand'père de François -
le grand'père véritable de Louis? -,
on pense que plus rien ne bougera avant...
oh! on ne saurait dire combien de temps!
C'est là une méprise, bien sûr. La marche des peuples est lente.
Nous le connaissons bien ce découragement
comme si nous l'avions tricoté nous-même!
Louis Garrel, Clotilde Hesme |
que la notion de commandement s'est effritée.
Certains n'iront plus travailler comme avant.
François, l'insoumis, l'enfant de la patrie dit non,
écope de six mois de prison avec sursis
pour avoir dit non au service obligatoire....
Posé, sensible, étudiant décrocheur, poète à ses heures,
vivant au crochet d'Antoine qui a beaucoup de blé,
malgré sa déroute personnelle et l'abandon qui se tisse,
François, un être très doux, tente jusqu'au bout
la liberté en regard de l'amour.
En tous les cas, il n'enferme pas sa blonde Lilie
comme un oiseau...
Il aime sans condition.
Est-ce si commun?
Nous rappelant le possible d'hier,
ce film porte un regard qui tonne sur aujourd'hui.
«Viens, écoute ces mots qui vibrent
sur les murs du mois de mai
Ils nous disent la certitude
que tout peut changer
un jour...»
(Le temps de vivre, Moustaki. Je cite de mémoire.)
La vie a changé, mais les humains restent, peu importe, seuls
dans leur humaine condition,
toujours seuls sur le chemin, dira François Dervieux.
Puis, tous peuvent être frappés d'impossibilité.
Le dernier mouvement du film,
rapide, syncopé, intitulé «Le sommeil des justes»,
nous fait basculer définitivement du politique au privé,
le privé est politique disait-on...
Le combat de François pour l'intégrité s'éteint
derrière une dernière barricade,
celle de la mort.
Mais comme le remarque André Roy,
(voir son excellente critique dans 24 Images, Numéro 28, aut. 2006.)
c'est sans pitié que l'on embrasse toutes les morts successives
qui traversent l'existence des personnages.
D'où ce beau mot d'inamertume,
proche de la dignité et du courage, je crois bien,
ce «mot d'ordre» pourrait-on dire en écho aux «camarades» du film,
évitant toute complaisance, nostalgie, moralisation,
mot qui s'infiltre à une époque, la nôtre,
si dégoulinante de morosité.
Il y a dans ce film touchant des images d'une grande poésie,
ce qui n'est pas sans douleur.
À la fin de ce drame, il nous reste de simples munitions,
des mots et des images en noir en blanc...
en noir et blanc,
avec des éclats d'inamertume pour continuer notre chemin.
3 commentaires:
Je suis allé reporté le DVD tout à l'heure, deux jours passés date. Je n'ai pas le temps en ce moment de visionner une seconde fois. Je le ferai plus tard. C'est absolument rare.
salut, ce nom de Louis Garrel me dit quelque chose et je me demande même si dans le petit festival montalbanais que nous avons il n'y a pas fait un petit tour. il me faudra creuser la question.
pour le moment un nouveau débat est engagé dans le pays avec la candidature à la présidentielle de José Bové. Diffiicle de savoir les suites en terme d'orientation politique et de résultats électoraux. Amitiés à vous.
Je viens tout juste de l'écouter. Je l'ai surtout regardé, parce que j'écrivais en même temps. C'est une drôle d'expérience. Merde, il est tard.
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