27 juin 2007

Carnets pelés 10 - Jours d'été



Harrington Harbour, 29 juillet 2003


Il est minuit passé et je n’arrive pas à aller sous la belle catalogne faite main qui borde le lit. Je tiens plutôt à écrire la date de ce jour avec le nom du village où je suis arrivé sous la pluie battante, avec l'équipage, l'Électricien, l'Ingénieur, le jeune... en bateau-taxi, depuis quatre heures. J'ai dit au conducteur : « Sir, we are going to see your Doctor! ». Il l'a trouvé drôle.

Marquer d’une pierre blanche ma présence ici, au bout du monde. Harrington Harbour. Là où il n'y a pas de voitures! Pourtant bien dans mon pays.

Le vent écornifle par la fenêtre de ma chambre à l’étage de la maison carrée de Idy. Elle nous parlera abondamment des acteurs de la Grande Séduction qui ont séjourné ici. À travers la nuit d'encre, je devine la présence d'un canal derrière la maison. Dans la chambre à l'ambiance très anglaise, il y a en broderie des iris dans un cadre bleu sur le bureau et d'autres sous la vitre ronde de la table de nuit. Je me couche, baptême! Je dois me lever à 5 h!


Chez Idy. Ma chambre, en haut, à gauche


C’est beau! Je suis debout le premier! De 5 h à 7 h, je fais une grande marche qui vaut trois mille piastres avec Bisotté qui mitraille tout sur son passage avec sa caméra. La luminosité nous élève. La barre du jour inspire la belle vie. Tout se développe à mesure que nous marchons. Mais les nuages reviennent. Au loin, je vois un pêcheur appareiller. Nous escaladons un cap pour longer « Cricket Island» jusqu’au drôle de cimetière pentu. Nous arrêterons à l’église blanche rendue célèbre par le film. J’ai écrit une niaiserie agnostique dans le livre d'or des visiteurs.


Fantastique randonnée au cours de laquelle je me suis mouillé en masse les pieds. Des iris sauvages, il en pousse ici et là entre les craques des grosses roches, en flanc des collines escarpées, sur le bord des maisons plantées à la va comme je le peux. Il n’y a rien d’autre ici que du roc et des petites maisons de pêcheurs prospères jadis venus de l’Île Jersey sous le commandement des Robins de la Gaspésie.





13 h : Chevery

Je suis en pause, l’Ingénieur n’a plus besoin de moi. Je prends un petit chemin qui longe l’aéroport. C’est la brousse ici. Et c’est merveilleux la solitude. Assis sur une grosse souche près de la plage. Le jeune vient me rejoindre. On trinque en silence. Au loin, dans la mer ou le golfe, je ne sais jamais, les îlots escarpés, irréguliers comme des verbes à cinq pattes, font bombance. Je me pince. Dans quelle contrée suis-je abouti? La plage, mignonne, est bordée d’un beau sable brun rosé qui s’agence avec les grosses roches en forme d’éléphant. Jamais personne ne viendra se bâtir maison ici. Seulement mes deux yeux pour boire toute cette beauté.

Ah! Je sais où je suis. Je suis en Nouvelle Norvège.

16 h : Natashquan

Je rejoins enfin la simplicité noir et bleu de ce grand homme, Gilles Vigneault. Je découvre son nid. Avons gagné l’Auberge La Coche. Puis, nous avons acheté de la bière au dépanneur pour un super ramdam de gars sur la plage via le Chemin des Galets. Nous sommes cinq. Avons évité le seul bar ouvert peuplé d’Innus. Par gêne. Par réserve bébête. Avons acheté à nouveau de la bière et bu dans la chambre de l’Ingénieur.


Îles-de-la-Madeleine, 30 juillet 2003

Nous descendons dans le bleu le plus total.


Cap-aux-Meules, 31 juillet 2003

Tard après la job, me suis baigné à la plage municipale. Je n’avais pas de serviette, mais le goût était trop fort. C’est une douceur la mer ici! À proximité, une grotte rouge brun. Je marche jusqu'à l'entrée puis je pénètre à pas de loup. Ouf! On change d'atmosphère. Je suis soufflé par en dedans. Bisotté me rejoint et me prend en photo. Faudrait que je lui demande ce que ça a l’air.

Après souper, le Directeur nous amène ici et là. Les clubs sont bondés partout. Touristes à revendre. On aboutit Chez Guylaine pas du tout rempli. Il n’y a que des femmes. Nous sommes maintenant sept gars! Je me dis en moi-même : comment ça se fait, colis, qu’il nous amène dans un bar « spécialisé »? Mais ce n’était pas un bar de lesbos. Nous étions tombés sur un enterrement de vie de fille! La future avait un collier de guimauves autour du cou. En donnant un deux, on pouvait cueillir avec la bouche une guimauve. Je ne me souviens plus si je l’ai fait, gêné comme chus. Me semble que oui. Mais je ne me rappelle pas si j’en ai gobé un près du buste ou dans le cou!

Pis là, on a eu du fun. Les filles, assez grivoises, buvaient, chantaient, niaisaient. Il y en a même une, une jeune, qui a poussé un refrain salé de Réal V. Benoît. Elles étaient en grand jaune avec un chauffeur patient comme un pêcheur.

Vlà que d’un coup sec, elles vident le bar. La volée faisait donc la tournée des grands-ducs.

Deux minutes plus tard, badigne badagne, ce sont les gars qui retendissent par-derrière, avec le futur marié, évidemment, pas trop magané ni beurré de mélasse! Pis eux autres, ils avaient emporté leurs instruments, violon, guitares, banjo, accordéon... J’ai moi-même joué une toune à l’accordéon.

Mon ami l’Ingénieur est tombé sur le cul de me voir, parce qu’il ignorait que je jouais (un bien grand mot) alors qu’une belle des Îles (vraiment cute), en face de la table de pool, était inexorablement en train de se faire un nid dans le compas de ses yeux.

Jusqu’à deux heures du matin, Bisotté et moi avons circulé, zieuté, jasé de radio communautaire, nous en avons fait tous les deux, sans l’Ingénieur parti dans la brume, sans le jeune trop sage parti se coucher.

Il faisait si chaud aux Îles, même en pleine nuit sur le quai... On n'avait jamais vu pareille chaleur aux Îles.

C’était une incroyable et délicieuse journée d’été.


Photos jd, sauf la maison de Idys





2 commentaires:

Nina louVe a dit...

ce carnet pellé déploie mon imaginaire.

Anonyme a dit...

Bienvenue à bord Nina, de tous bords tous côtés...