Train de nuit (on va dire) Québec-Montréal.
Je cogne des clous entre Québec et Ste-Foy. Je perds contact tout de suite. Le temps d'une brève mais profonde sieste. Je me réveille un instant étranger à tout ça. Puis, la belle matinée augurale me revient à l'esprit tout à coup : je fus bombardé de soleil dans l'air froid en marchant sur la rue des Remparts.
Le train de nuit chuinte continuellement. C'est sa langue intrinsèque, on dirait. En sourdine, quand on y pense, quand on ajoute les scènes de cinéma qui se passent dans un train la nuit, on distingue très bien une espèce d'imitation de dactylo en marche, un peu mouillée, un corridor parfait pour rêver.
Le type vis-à-vis de mon siège, de l'autre côté de l'allée, reçoit un appel sur son cellulaire. Mes rêveries solitaires se plantent drette là. On ne peut pas ne pas être pris dans le cerceau d'une conversation téléphonique même lorsque c'est banal au cube. Ces actes de parole à ciel ouvert dans les lieux publics sont obscènes, vous font ingurgiter de force l'intimité des gens, bouffent tout l'espace sonore. Bah!
Au bout de trois minutes de ce soliloque, je peux vous raconter la vie de cet individu début trentaine : il quitte son emploi pour rentrer au ministère de l'Éducation jusqu'en 2011 (cela est dit en théorie); aimerait bien se rendre à Toronto pour les Fêtes, mais il est si occupé, ouf!, oui, c'est une semaine de fou... Il en parlera à sa blonde! Il aimerait tellement ça... Oui. Salut, là. Oui, oui. Bye... Oui! C'est certain... Ok!... Vous autres aussi... Ouais, je sais pas comment j'vais m'en sortir.... Mais qu'est-ce que tu veux?... Ha! Ha! C'est ben correct! En tous cas, prend soin de toi, là... Ciao!
Le train continue à cahoter doucement avec nos vies bout à bout, entre parenthèses, dans ses wagons métalliques. Le type au cellulaire a fini par s'assoupir, la bouche entre ouverte, son livre à plat posé sur son ventre. Il a l'air d'un bon diable qui se débat. Un professeur, sans doute. Je m'étire le cou pour lire le titre : Il faut qu'on se parle de Kevin (Shriver). Les premiers à vouloir comprendre la monstruosité de ces garçons déwrinchés, ce sont sans doute les éducateurs. Columbine, Polytechnique... Puis, certains écrivains. Il faut qu'on se parle de Gamil qui, enfant, fut gardé dans mon village avec sa soeur...
Dans quelques minutes nous surprendrons la ville par-derrière en pleine noirceur sans apercevoir le cri des graffitis aux grosses lettres blanches sur les murs défraîchis des bâtiments « industriels ». Elle nous ramènera tout de go dans l'inconnu familier autour de cette montagne qu'on ne visite jamais.
Photo : Fritz Brandtner La ville depuis le train de nuit, n° 2 v. 1947.
Source ad usum privatum : Musée des Beaux Arts du Canada
Je cogne des clous entre Québec et Ste-Foy. Je perds contact tout de suite. Le temps d'une brève mais profonde sieste. Je me réveille un instant étranger à tout ça. Puis, la belle matinée augurale me revient à l'esprit tout à coup : je fus bombardé de soleil dans l'air froid en marchant sur la rue des Remparts.
Le train de nuit chuinte continuellement. C'est sa langue intrinsèque, on dirait. En sourdine, quand on y pense, quand on ajoute les scènes de cinéma qui se passent dans un train la nuit, on distingue très bien une espèce d'imitation de dactylo en marche, un peu mouillée, un corridor parfait pour rêver.
Le type vis-à-vis de mon siège, de l'autre côté de l'allée, reçoit un appel sur son cellulaire. Mes rêveries solitaires se plantent drette là. On ne peut pas ne pas être pris dans le cerceau d'une conversation téléphonique même lorsque c'est banal au cube. Ces actes de parole à ciel ouvert dans les lieux publics sont obscènes, vous font ingurgiter de force l'intimité des gens, bouffent tout l'espace sonore. Bah!
Au bout de trois minutes de ce soliloque, je peux vous raconter la vie de cet individu début trentaine : il quitte son emploi pour rentrer au ministère de l'Éducation jusqu'en 2011 (cela est dit en théorie); aimerait bien se rendre à Toronto pour les Fêtes, mais il est si occupé, ouf!, oui, c'est une semaine de fou... Il en parlera à sa blonde! Il aimerait tellement ça... Oui. Salut, là. Oui, oui. Bye... Oui! C'est certain... Ok!... Vous autres aussi... Ouais, je sais pas comment j'vais m'en sortir.... Mais qu'est-ce que tu veux?... Ha! Ha! C'est ben correct! En tous cas, prend soin de toi, là... Ciao!
Le train continue à cahoter doucement avec nos vies bout à bout, entre parenthèses, dans ses wagons métalliques. Le type au cellulaire a fini par s'assoupir, la bouche entre ouverte, son livre à plat posé sur son ventre. Il a l'air d'un bon diable qui se débat. Un professeur, sans doute. Je m'étire le cou pour lire le titre : Il faut qu'on se parle de Kevin (Shriver). Les premiers à vouloir comprendre la monstruosité de ces garçons déwrinchés, ce sont sans doute les éducateurs. Columbine, Polytechnique... Puis, certains écrivains. Il faut qu'on se parle de Gamil qui, enfant, fut gardé dans mon village avec sa soeur...
Dans quelques minutes nous surprendrons la ville par-derrière en pleine noirceur sans apercevoir le cri des graffitis aux grosses lettres blanches sur les murs défraîchis des bâtiments « industriels ». Elle nous ramènera tout de go dans l'inconnu familier autour de cette montagne qu'on ne visite jamais.
Photo : Fritz Brandtner La ville depuis le train de nuit, n° 2 v. 1947.
Source ad usum privatum : Musée des Beaux Arts du Canada
8 commentaires:
Wow ! ...
...
(silence)...
Tu me ramènes soudainement et dans le train maintes fois emprunté entre Lyon et la Bretagne et dans l'extraordinaire show d'André Sauvé que j'ai vu hier.
Y'a des wagons de souffrance qu'on aimerait éjecter tant c'est absurde et entre ça, des instants de grâce, d'autres de lucidité capable de capter tout ÇA, comme tu viens de le faire.
outch ! Il faut que tu te commandes ce documentaire ou encore que tu trouves à le louer a la boîte noire, si ça se trouve...
http://www.alapage.com/-/Fiche/DVDVideo/853611/DVD/la-vie-comme-elle-va-jean-henri-meunier.htm?donnee_appel=GOOGL
Sauvé? Quel as celui là. Plutôt, quel Jocker! Merci, Karo, pour le mot et la suggestion.
Charmant blog que je découvrir à l'instant même...
Bienvenue et merci « unevilleunpoème ».
jack, me semble que tu pourrais faire une série de texte dans un train. ça pourrait être vraiment hot...
Bonne idée, LeRoy, ça m'a effleuré le coco aussi, mais c'est une série qui coûterait cher! À moins que je m'imagine prendre le train en écrivant avec mes pantoufles dans les pieds... De fait, ça ne serait pas difficile,je suis dans l'ambiance, je m'enfarge dans les voyageurs à la semaine longue, j'imagine leur vie, je traîne à la Gare centrale quasiment tous les jours pour zieuter les titres des journaux à la tabagie, je dîne régulièrement à la cafétéria des employés du CN ou bien je pogne la ligne internet gratos du Café Dépôt, ou bien encore je cruise la fille de la SAQ qui fait les dégustations de vin. Elle me verse de vraies rasades, pas juste des petits crachins dans le fond du mini-verre. C'est bon signe, n'est-ce pas? Pis là, je lui demande conseil sur l'accord des vins et des mets...
T'auras compris que je bosse dans les parages.
En tk, prochain voyage le 30 à Ottawa. Départ à 6 h 00 du matin! L'heure où l'on tire les vaches dans les autres trains. Aussi bien dire qu'il ne vaudra pas la peine de coucher mon oiseau de nuit ce soir-là!
je trouve que c un beau défi pour un roman en tout cas :)
bs: les lettres magiques me disent "locul" c grave docteur?
Ouais. Pour voir, faudrait inviter à bord Léon Delmont qui fit ce voyage en train de Paris à Rome, allant rejoindre Cécile alors que sa Henriette tarabuste sa conscience, celle qui fut sa tendre, la mère de ses quatre marmots... Le train arrive en gare de Dijon. Va-t-il rompre comme il s'en est convaincu au retour?
« Un homme à votre droite, son visage à la hauteur de votre coude, assis en face de cette place où vous allez vous installer pour ce voyage, un peu plus jeune que vous, quarante ans tout au plus, plus grand que vous, pâle, aux cheveux plus gris que les vôtres, aux yeux clignotants derrière des verres très grossissants, aux mains longues et agitées, aux ongles rongés et brunis de tabac, aux doigts qui se croisent et se décroisent nerveusement dans l'impatience du départ, selon toute vraisemblance le possesseur de cette serviette noire bourrée de dossiers dont vous apercevez quelques coins colorés qui s'insinuent par une couture défaite, et de livres sans doute ennuyeux, reliés, au-dessus de lui comme un emblème, comme une légende qui n'en est pas moins explicative, ou énigmatique, pour être une chose, une possession et non un mot (...), cet homme vous dévisage... »
- Michel Butor, La Modification
jd
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