05 septembre 2010
Lettre du Haut Aragon avec un timbre français
Abiego, 3 septembre 2010
Bonjour le beau Jacques,
Voilà fort longtemps que je n’ai pas écrit non plus! Je viens de passer quelques moments bien down moi aussi.
Pour l’instant, exit le cyberknife, mon neurochirurgien s’y oppose… donc : beau creux de vague pour moi.
Je me voyais déjà, grimper en haut du prunier, finir de peindre mes murs, relancer le chantier de la Forge à Saint-Antonin, sans compter les possibilités de voyages…
Juin/juillet, méga canicule à Montauban,jusqu’à +40° à l’ombre! Je suis restée dans le noir, volets clos, incapable de bouger, d’éprouver même la moindre envie de projeter quoi que ce soit, tellement tout me semblait inaccessible! J’ai même délaissé l’ordinateur tellement ce que je lui confiais exacerbait la colère/déprime! Stratégie du hérisson! En boule, tous piquants dehors, personne ne m’approche!
Faut dire que du côté social, y’avait rien de réjouissant non plus : pas moyen que les syndicats et les partis de gauche bougent le petit doigt!
La France est un pays de non-droit, déjà sorti de la démocratie, se dirigeant tranquillement vers un néofascisme à devanture civilisée, et les responsables politiques et syndicaux s’en accommodent! Pas de quoi être fière, quand je pense que c’est ma génération qui a produit ça!
Fin juillet, début août : tout m’est trop insupportable! J’émigre à Abiego et j’y suis depuis!
Effet immédiat : mon corps retrouve de la mobilité, je peux à nouveau sortir, parler aux gens sans avoir envie de mordre dedans, et petit à petit, je me redonne une dynamique, tant physique que morale, tout en étant bien consciente que rien ne change, mais être hors me permet de mettre une distance dont je n’étais plus capable.
Là, tous les miens ont fait leur rentrée. Ben va venir me rejoindre pour la fin de semaine et Guillaume et Anaïs viendront dès lundi : ils ont pris une semaine de congé tellement leurs vacances ont été courtes. Ils n’ont pas d’enfants et ne sont donc pas prioritaires sur les congés « scolaires » (...)
Ici, je découvre que la misère repointe le bout du nez avec son cortège de populisme, de nationalisme. J'ai tout aussi peur qu’en France. L’Espagne a le sens du drame, de la culture du morbide, du mortifère, du jusqu’au bout et elle a montré qu’elle était capable du pire comme du meilleur!
Mon refuge est bien ébranlé! Mes « amis » m’envient notre gouvernement et notre président, approuvent les expulsions d’émigrés, les expéditions punitives de nos cow-boys de flics… Bien sûr, ils désapprouvent leur gouvernement socialiste qui vient pourtant de reconnaître le droit à la nationalité espagnole aux exilés de la guerre civile et à leurs descendants. La plupart d’entre eux ne savaient d’ailleurs pas que Franco les avait destitués de la nationalité espagnole et qu’ils furent longtemps apatrides, ce qui compliquait encore plus leur accès à la nationalité française par exemple…
Bon, il y a un gros travail de mémoire et d’histoire à faire au fin fond de l’Espagne!
Évidemment, pas question de leur expliquer que tout ce que je trouve formidable chez eux, le fait par exemple de chercher des solutions collectives à l’amélioration du cadre de vie, est un héritage direct des trois ans de République et de l’anarcho-syndicalisme qui était fort en Haut Aragon. Ils ne savent pas. Ils ont été scolarisés sous Franco! Aucun parti de gauche depuis lors n’a accompli le travail de mémoire nécessaire au nom de l’unité et de la réconciliation! Je me rends compte au fur et à mesure que je progresse dans la langue et dans ma « pénétration » du village que la réconciliation n’a aucun sens pour eux (...)! C’est aussi qu’ils n’ont aucune connaissance sur la guerre civile et son histoire. Ceux qui ont fait 36 sont morts des deux côtés ou ne sont plus au pays. Leurs enfants ont été élevés dans le tabou.
En Espagne, il était en effet de bon ton de dire et penser que tel frère, ami, cousin était parti pour faire fortune. (...) Quand ils se sont retrouvés après tout ce temps, ils ont « pacifié » cette période de leur histoire pour pouvoir refaire lien.
Bien sûr que ça, au niveau d’un village, d’une famille, je peux le comprendre, mais fallait-il que les responsables politiques,les intellectuels manquent à leur devoir de mémoire? Ou plus exactement, qu'ils effacent 45 ans d’histoire contemporaine au profit d’un projet européen?
Voilà que je m’énerve encore! Je ne suis pas sûre que ceci t’intéresse vraiment!
Je suis toujours enfermée dans ma démarche de vouloir chercher le sens collectif dans l’engagement de la personne et pas le contraire.(...)
Ouille! Il est 9h, je dois aller à Huesca ce matin et je ne suis pas encore habillée! Je m’interromps.
Je ne sais pas si je vais « envoyer » avant de partir ou si je vais attendre d’être de retour.
Bisous.
Me voilà de retour avec Ben.
Il est très tard, je l’ai rejoint à Barbastro et nous avons fait un resto et un paseo.
Alors, bonne nuit, à plus, hasta pronto!
Jojo
Photos carte et le Grand-Duc-d'Europe sur la route de Huesca : site ornitho Aragon
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