Lettre à Victor-Lévy Beaulieu
« Les grandes fêtes portent octave », disait le mon oncle Henri de mon ami Atkins. Ainsi, huit jours avant ou huit jours après, c’est bon.
Je vous ai entendu à Maisonneuve ce midi. Je viens des Chatons-de-l'Est, j'ai toujours eu un rapport fraternel avec les animés. Une fois, une truie est morte en couche. Une belle portée de 11 petits. J'ai réussi à en réchapper un seul. J'avais 13 ans. Pas très original, mais je l'avais appelé Arnold même si c'était une petite fille. Elle me suivait partout, venait au bois lorsque j'allais chercher les vaches, venait me reconduire le matin au bout du chemin pour attendre la Grand'Jaune (l'autobus scolaire). On s'aimait beaucoup et je suis encore triste du sort commun qu'on lui réserva.
Puisqu'il n'était pas possible de garder cette belle bourrue plus de six mois — libre comme l'air, elle labourait les champs, y compris le jardin de la voisine — si seulement j'avais été plus convaincant! Je voulais donner Arnold si intelligente au zoo de Granby...
Le contexte général de cette époque avait brisé ma famille. Mon père est mort quelques années plus tôt et ma mère seule n'y arrivait plus avec la besogne, malchance, accidents, solitude, découragements... Elle a par un jour d'été tout vendu au rabais chevaux, vaches, cochons... Une autre grande blessure pour le garçon que j'étais, celui qui toute sa vie serait assis entre la ville et la campagne, comme un Indien, avec un grand blues qui traîne parfois dans les nuages.
Je vous aime beaucoup, Victor-Lévy. Je tenais à vous le dire au moins une fois.
Bon anniversaire et bonne continuation.
Ma vie avec ces animaux qui guérissent.
Victor-Lévy Beaulieu, Éditions Trois-Pistoles, 2010
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