Note : reprise d'un texte sous forme de lettre paru il y a quelques jours dans le blogue des Éditions de la Brochure en France par les bons soins de l'ami Jean Paul Damaggio. Sans prétendre tout savoir et tout dire, l'idée était de donner de façon un peu ramassée des échos de la situation politique actuelle qui prévaut au Québec. Les titres et quelques précisions ont été ajoutés par Jean-Paul pour une meilleure compréhension des lecteurs Français. J'ai à peine retouché le texte dans la présente version, apportant ici et là quelques ajouts et corrections.
***
[...] Jacques Desmarais offre ici un large portrait de la situation politique québécoise
un peu difficile à lire face aux schémas en place en France mais l’effort mérite le détour.
Dès les premières lignes nous apprenons que le printemps québécois ce n’est pas
forcément l’effondrement du système en place…
Je précise seulement qu’il ne faut jamais oublier qu’au Québec il y a le phénomène
province (avec le gouvernement provincial de Charest) et le phénomène fédéral (avec le gouvernement d’Ottawa). JPD
Malgré
des taux d'insatisfaction records du gouvernement libéral qui en est à
la fin de son 3e mandat depuis
2003, l'autoritarisme (lire la répression du mouvement étudiant) et
les beaux cheveux blancs de Jean Charest lui ont permis de hausser sa
popularité personnelle au cours du présent
brasse-camarade de ce printemps québécois dit érable. Une Commission
d'enquête chargée de faire la lumière sur la corruption et la collusion
dans l'industrie de la construction, ainsi que les
ramifications avec le financement des partis politiques, vient de
commencer ses travaux. Après deux ans de refus obstiné, Jean Charest a
fini par céder à la pression en instituant cette
Commission présidée par une juge respectée du nom de Charbonneau.
Les travaux de la Commission Charbonneau ont été ajournés jusqu'en
septembre. Mais déjà, il est clair que plusieurs libéraux
notoires, organisateurs, souscripteurs, amis personnels du Premier
ministre et, en particulier, plusieurs professionnels des grandes firmes
d'ingénierie vont défiler à la barre des témoins ou
bien risquent d'être éclaboussés. La semaine dernière, à Rio,
Charest a déclaré que son parti « était blanc comme neige », mais
d'aucuns pensent qu'il est plutôt « blanchi » avec de l'argent
sale, ce qui s'ajoute à plusieurs dossiers mis à jour par la presse,
l'opposition ou le Vérificateur général dans lesquels il s'est adonné
que des contrats, des permis, des places en garderies,
alouette, ont été cousus mains au profit des petits amis qui
contribuent à la caisse du parti, quand ce n'est pas des membres connus
de la mafia qui participent à des soirées-bénéfice, ou encore
des ex-ministres qui acceptent des faveurs.
Le Parti Libéral (PLQ)
Dans
ce contexte, Jean Charest qui est une bête politique et vise à enfiler
derrière sa cravate un quatrième
mandat électoral, ce qu'aucun autre politicien québécois, même
Duplessis lors de son long règne, n'a réussi à faire jusqu'à ce jour, voit qu'il
est temps de se présenter devant le peuple. Le vote anglo
et multiethnique (italien surtout) — concentré sur l'île de Montréal
— assure au PLQ (son parti) plusieurs comtés absolument sûrs. Leur
stratégie consistera donc à maintenir le tiers de ses votes
chez les francophones qui sont majoritaires dans la ville de Québec
et en régions. Malgré leur impopularité et les odeurs de scandales, ce
pari n'est pas impossible. D'autant que le printemps
érable a polarisé la population, en a effrayé plusieurs surtout à
l'extérieur de Montréal.
Le Parti québécois (PQ) l’obédience souverainiste
Du
côté du PQ, il y a à peine six mois, les divisions internes sont venues
à un cheveu de faire imploser ce
parti, à tout le moins, de faire rouler la tête de la Chef, Pauline
Marois, à la suite de plusieurs démissions de gros canons comme Louise
Beaudoin — que tu as citée Jean-Paul dans un texte récent autour du conflit étudiant —, Pierre Curzi, Lizette
Lapointe (épouse de l'ancien Premier ministre Jacques Parizeau) et qui
est députée de ma circonscription (Crémazie), le député Assant qui a fondé l'Option nationale... La
contestation a été déclenchée par une prise de position a
priori assez banale et très locale, soit l’appui à cent mille à
l'heure de la garde rapprochée de la Chef, au projet d'amphithéâtre de
la Ville de Québec. Une loi spéciale — proposée par le PQ —,
était jugée nécessaire afin de repousser toute contestation, et ce,
afin que soit conclu le financement en partie privé du projet par Pierre
Karl Péladeau (Québecor, Journal de Montréal, Journal
de Québec, TVA, Sun TV, câble Videotron, un empire des
communications et du spectacle, certes moins puissant que celui des
Desmarais, mais avec cette particularité : Péladeau fils, comme l'était
son père, est d'obédience souverainiste...) Le maire de la ville de
Québec, un populiste qui rêve de ramener dans sa ville une équipe de
hockey de la Ligue nationale, d'où le « besoin » d'un
amphithéâtre, était soutenu par la députée péquiste Maltais qui représente un comté au cœur de la Ville de Québec. Une
belle patente à gosses, comme on dit ici. (Et tu te rappelleras que «
gosses » ne signifie pas au Québec mômes!) Une emmanchure du
PQ purement électoraliste, mais qui laisse aussi dépasser le jupon
des intérêts d'une certaine frange de la bourgeoisie d'affaire qui rêve
d'un pays... Les députés démissionnaires n'ont pas
digéré la ligne de parti qui les obligeait à voter pour un projet de
loi inacceptable à leurs yeux.
La tempête est passée et Pauline — surnommée depuis la « dame
de béton » — a pu consolider son
leadership. Le PQ vient de ravir lors d'une partielle le comté
d'Argenteuil qui était détenu depuis 42 ans par le PLQ. Néanmoins, et
encore une fois malgré des taux d'insatisfaction du
gouvernement en place qui frisent les 70 %, les intentions de vote
en faveur du parti souverainiste stagnent autour des 32 %. La crise du
printemps n'a pas permis à Marois d'affirmer des
positions claires et originales. D'autre part, parce qu'elle a porté
le carré rouge à l'Assemblée nationale et participé à une manif de
casseroles, Charest tape sur elle comme sur un seul clou et
l'associe aux désordres de la rue, alors que lui s'exhibe comme un
Chef responsable qui respecte les lois et les institutions
démocratiques.
La coalition Avenir Québec (CAQ)
À
droite (avec la prétention d'être ni de gauche, ni de droite, mais « en
avant »!) la Coalition Avenir Québec
(d'où le très gracieux nom de la CAQ), est un nouveau parti fondé en
avril 2012 par un ancien ministre du PQ, François Legault, et un
dénommé Charles Sirois, homme d'affaire jusque-là dans le
sillage libéral. La CAQ a d'abord réussi à avaler la moribonde ADQ,
parti de droite qui avait 8 députés et un transfuge du PQ a rejoint le
groupe. Avant même sa fondation, la CAQ trônait à la
tête des sondages. Depuis, il dégringole. Sa présence au prochain
scrutin risque néanmoins de diviser le vote francophone en pigeant
surtout dans l'électorat péquiste. Puisque nous sommes dans un
système uninominal (un seul tour), c'est la majorité des votes
obtenus dans une circonscription donnée qui fait élire un député, le
plus grand nombre de députés d'un parti qui lui confère le
pouvoir. En passant, Denise Bombardier que tu as vue à la télé française et largement commentée dans ton blogue parle en des termes élogieux
de ce système archaïque hérité de la Couronne britannique !
Le calcul du PLQ
Bref, en tout et partout, donc, les libéraux ont besoin que du tiers du vote francophone et le tiers des députés
à l'extérieur de Montréal pour espérer former à nouveau le prochain gouvernement !
En
toile de fond, bien sûr, il y a la crise étudiante qui n'est pas
réglée. Les Libéraux vont faire des
élections sur le dos des étudiants, s'épargnant ainsi la nécessaire
négociation avec le mouvement étudiant. Début septembre, à cause
notamment de la loi 78 qui a bouleversé les sessions scolaires
des institutions en grève, les étudiants seront encore éparpillés
dans leur famille ou bien la tête la première à reprendre en accélérée les sessions scolaires annulées; le vote, historiquement plus faible chez les
jeunes, risque donc d'être encore moins concentré. Tout cela
fait cogiter les stratèges libéraux.
Québec Solidaire, le parti de gauche
Et
puis la gauche ? Je renvoie à l'édito de ce matin de Presse à Gauche
qui, en des termes certes un peu
classiques, n'en brosse pas moins un tableau assez complet. Il faut
comprendre que dans le contexte des derniers mois, devant la crainte de
voir les Libéraux corrompus se faire réélire, plusieurs
voix se sont manifestées sur la place publique — comme celle du dramaturge Dominic Champagne — pour appeler une coalition des indépendantistes et des progressistes,
avec en toile de fond, ce constat des plus réalistes :
seul le PQ est susceptible de rallier un nombre suffisant de votes
pour battre le PLQ.
Là-dessus,
une question sous-jacente et assez nouvelle se pose sous l'angle de la
position du Québec dans le
giron canadien : il est vrai de dire que seul le PQ, qui forme
actuellement l'Opposition Officielle à l'Assemblée Nationale, est en
effet en position de battre le PLQ, parce que c'est un vieux
parti avec beaucoup de membres et une base dans toutes les
circonscriptions, que l'alternance du pouvoir finit toujours par jouer
dans le contexte du parlementarisme britannique typiquement
façonné par le bipartisme. Mais le fait politique nouveau dans le
Québec actuel est que le PQ n'a plus le monopole du vote indépendantiste
: Québec solidaire et l'Option Nationale sont
souverainistes, alors que la CAQ, bien qu'elle propose d'enterrer le
débat constitutionnel pour les dix prochaines années, sait très bien
que si elle prend le pouvoir à Québec, elle devra « se
fâcher » avec le gouvernement fédéral...
La question est donc : seul
le PQ pour battre les libéraux, mais le PQ tout seul?
Sous
l'angle maintenant de l'axe gauche-droite, au fédéral le Québec a
voté massivement pour le Nouveau
Parti Démocratique lors des dernières élections en mai
2011, propulsant ce parti pour la première fois de son histoire au rang
d'Opposition Officielle. Entre autres résultats de ce vote
plus à gauche, le parti indépendantiste à Ottawa, le Bloc Québécois,
a été pratiquement rayé de la carte électorale. Or, un an après le
scrutin, un sondage récent indique que les intentions de
vote au Québec en faveur du NPD auraient été encore plus fortes ! Il
s'est donc passé quelque chose dans l'expression politique des
électeurs québécois : un désir de changement, certes, mais
aussi la préférence de politiques nettement orientées vers le bien
commun plutôt que toute cette mélasse dominante du néolibéralisme.
Toujours
est-il que l'union des souverainistes n'est pas synonyme de l'union des
progressistes ! Car de ce
côté-là de la balance, le PQ n'est pas une gauche bien appétissante!
Ses réalisations passées lorsqu'il était au pouvoir, avec un Lucien
Bouchard notamment qui est aujourd'hui au service de
l'industrie des gaz de schiste, et puis son projet d'un pays
toujours un peu dans le flou ou relégué au second plan lorsqu’advient «
l'inévitable réalisme » de l'exercice du pouvoir, cette
manière langue de bois et fesses serrées de vouloir d'abord être un « bon gouvernement
», d'assumer une « gouvernance » souverainiste graduelle, de ne pas effaroucher Pierre Jean Jacques, surtout s'ils sont de
bons investisseurs, tout cela est tissé de fils à tendance
néolibérale, entremêlés de quelques clignotants à gauche. Un cas
classique du « centre » qui nous ramène aux bienfaits du libéralisme
sans possibilités tangibles de sortir du pouvoir des banques,
de ses turpitudes et de son asservissement pour le plus grand
nombre.
La
semaine dernière, Québec Solidaire (QS a un député) a répondu à ces
appels de coalition (pas très courante au
demeurant dans les mœurs électorales de l'Amérique du Nord) en
posant des conditions intéressantes, soit un possible front commun
électoral, mais pas au niveau gouvernemental, c'est-à-dire un
possible accord pour présenter dans les comtés chauds un seul
candidat progressiste, à condition qu'une orientation minimale soit
conclue autour de quelques éléments clés d'un programme commun :
modification du système électoral, abolition de la loi 78, etc. (cf. réponse de QS ici.)
Les
dilemmes de la gauche au Québec risquent d'être à court terme moins
pesant si la vertu de la patience fait
bien entrevoir que construire un État québécois progressiste ne se
fera pas en un seul coup et en une seule élection. Définir, proposer et
débattre un programme résolument axé vers la
construction du bien commun et la répartition réelle de la
plus-value en est une autre condition dans une perspective à long terme.
À ce propos, dans l'éditorial de Presse à Gauche on peut lire :
«Québec solidaire doit opposer sa plate-forme comme étant une alternative aux choix de l’oligarchie, y compris, de ses secteurs nationalistes. Notre plate-forme offre des réponses pour assurer une nouvelle répartition de la richesse sociale. Elle propose la gratuité scolaire. Elle oppose une approche démocratique et écologiste de l’organisation de notre économie ; elle avance des revendications démocratiques pour redéfinir le pays comme pays indépendant, de démocratie citoyenne sans parler des revendications démocratiques comme l’abrogation de la loi 78... L’ensemble de ces propositions peuvent s’articuler aux mobilisations sociales... . Au lieu de se fier à un engagement d’un éventuel gouvernement péquiste, il faut plutôt compter sur l’élargissement du mouvement social et la convergence des luttes et y contribuer dans le cadre de cette campagne. »
QS
peut espérer faire élire à Montréal trois ou quatre députés cet
automne. C'est humble. Mais ce serait déjà
une avancée importante afin d'élargir au jour le jour dans le débat
public le dialogue et l'adhésion populaire. Malgré ses esclandres et
l'acharnement carrément raciste qu'il s'attire, par la
voix d'un seul député, celle d'Amir Khadir, QS a fait du chemin. Son
programme comporte des politiques capables d'offrir une alternative, de
rouvrir à nouveau avec les leviers collectifs le «
chantier » qu'entrevoyait dans ses plus beaux jours un René
Lévesque.
Imaginons un Amir multiplié par cinq !
Jacques Desmarais
P.S :
Parlant
de René Lévesque, il y a un document extra qui se promène sur YouTube.
On voit d'abord le commentateur
Éric Duhaine (Journal de Québec, encore Péladeau, un libertarien
échevelé pour ne pas dire écervelé qu'on voit sur toutes les tribunes)
invité à l'émission de Mario Dumont (ex-Chef de l'ADQ,
recyclé en animateur télé populiste de droite) et qui
lui demande d'expliquer le haut taux jugé « anormal » de syndicalisation au Québec. Le
tout est entrelacé de réponses de René Lévesque puisées dans un
vieux document qui nous rappelle le Lévesque journaliste avec son
éternel tableau noir, d'une limpidité et d'un cœur ! Un bijou à voir !