Historiette d'escargot. Jeune, à l'époque du CEGEP, à la suite d'un travail d'été, j'ai logé quelques mois dans une chambre et pension de la rue Young à Waterloo, tenue par madame Delorme, une veuve au grand coeur qui n'hésitait pas à vous avancer des sous si vous étiez à court. Quand on est jeune, sur la rue Young en plus, l'on risque toujours d'être à court. Mais tel n'est pas mon propos. Il y avait dans la ville un personnage que je croisais souvent, un homme qui arpentait les rues à longueur de journée; il n'avait rien d'un itinérant; je dirais que c'était plutôt un homme solitaire qui occupait son temps à marcher, à prendre l'air, et tant qu'à faire, il s'était donné comme tâche, hautement utile, mais sans doute dédaignée, sujette à moquerie, de ramasser chemin faisant papiers, débris de plastique, traîneries ici et là, bref tous ces débordements de la communauté, parfois commune et sans tête, gestes après-moi-le-déluge, on s’en tape, qui ne manquent jamais y compris dans une petite localité proprette. Cet homme tranquille, affairé, bénévole d'une grande liberté toujours à l’heure, je le respectais sans trop savoir pourquoi. Je le répète : il n'avait rien d'un survivant à la recherche de bouteilles consignées, rien d'un Pierre dompteur de vers récupérant les papiers chiffonnés dans les poubelles du coeur dans Léolo. Surtout, ce monsieur de petite taille n'était pas la Loulou de Waterloo. Je ne dis pas cela d'un point de vue moral. Seulement pour exclure du portrait tout arrière-goût de mépris. (Loulou? Un autre personnage marquant qui a hanté la rue Principale à Granby, la ville voisine, la Princesse des Cantons-de-l'Est. Une pauvre femme avec de grands yeux de biche au visage blanc lune, mi-cirque, mi-japonais, résolu, qu'on disait putain). Toujours est-il que l'exemple simple de ce ramasseur toutes voiles dehors, de loin en loin, a sans doute contribué à inhiber en moi toute honte de ramasser à mon tour, à bien petite échelle cependant, quand ça adonne (ne suis-je pas vieux à présent et à la retraite?) les cochonneries qui traînent dans la ville. Bref, c'est ainsi que lors de mon humble jogging de ce matin, j'ai récupéré sur le terre-plein du boulevard où j'habite une cannette écrapoutie, une bouteille de coke, un machin pour abouter une clé USB, puis aussi une bouteille de bière vide. Mais ce n’est pas vrai : la bouteille n'était pas vide! À ma grande surprise, alors que j'étais sur le point de ranger les corps morts avec mes propres bouteilles, j'aperçois un petit vertmont d'escargot réfugié dans l'orifice du goulot. En fait, il s'était littéralement englouti, comme fusionné au verre et j'ai eu du mal à le décoincer. Si bien que je le croyais séché là, mort raide. Mais non, heureusement! Je l'ai libéré dans la plate-bande. Et si Michel Garneau me demandait : « C'est t'y vrai c't'affaire là? », je dirais OUI! En Whistiti à part de cela... Tourlou.
Photo Jacques Desmarais. |