15 novembre 2016

Le poison diffus de M. Trump


Obscénité du champion Trump et ambiance de terreur en ce moment à New York ressentie par le dramaturge Robert Lepage. 


Afin de permettre aux lectrices et lecteurs de ce blogue de l’extérieur du Québec d’avoir accès à l'interview publié aujourd'hui dans Le Devoir, je copie la page au complet. Je vous invite à la lire.




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RENCONTRE

Défendre la démocratie en valorisant l’intelligence

Après l’élection présidentielle, New York vit dans la terreur, observe Robert Lepage


Le Devoir, 15 novembre 2016 |Fabien Deglise | Livres



Robert Lepage : « Il y a, depuis mardi, une atmosphère empoisonnée à New York. »

Il pensait se déplacer dans l’espace, mais il a plutôt été projeté dans le temps. En atterrissant à l’aéroport Pierre-Elliott-Trudeau jeudi dernier, dans un vol provenant directement de New York où il parachève l’assemblage de l’oeuvre de la compositrice finlandaise Kaija Saariaho L’amour de loin au Metropolitan Opera, le dramaturge Robert Lepage a senti ses nerfs se relâcher d’un coup. Et, la sensation, raconte-t-il, pour l’avoir déjà vécue ailleurs, l’a beaucoup troublé.

« Je ne pensais pas que cela allait m’arriver un jour en rentrant des États-Unis », dit l’homme de théâtre rencontré vendredi à Montréal en marge du lancement de la version illustrée du texte de sa pièce 887 chez Québec Amérique. « Cette sensation, je la vivais dans les années 80, lorsque je me promenais à Berlin entre l’Allemagne de l’Est et l’Allemagne de l’Ouest [c’était avant la chute du Mur de la honte en 1989],lorsque je quittais le stress et la terreur d’un côté pour retrouver l’air frais et vivifiant de la liberté de l’autre. » C’était dans les derniers jours de la guerre froide, de ses tensions, de ses replis, de ses discours de haine et d’intimidation. Mais depuis la semaine dernière, et l’entrée de Donald Trump à la Maison-Blanche, les relents de cette histoire passée empestent désormais le présent.
 
« Il y a, depuis mardi, une atmosphère empoisonnée à New York, poursuit Robert Lepage, installé dans le calme et la zénitude du coin d’un feu de cheminée d’un hôtel de la métropole. Comme bien d’autres personnes, je suis angoissé par le résultat. Ce que l’on sent dans la ville, ce n’est pas de l’amertume, pas de la rage, mais surtout de la terreur. »
 
Le 8 novembre dernier, l’ignorance et la médiocrité ont voté, dit-il, jetant l’effroi sur une démocratie et forçant l’univers médiatique et politique en général, mais aussi le milieu des arts en particulier, à en assumer la responsabilité et à agir rapidement pour contrer la dérive. « Les Américains sont victimes de ce que leur télévision véhicule depuis 20 ou 30 ans, dit Robert Lepage. Celui qui a été élu, ce n’est pas seulement la vedette d’une téléréalité. C’est quelqu’un qui en véhicule aussi les valeurs. Vous vous rendez compte ? Pour la première fois, la première dame des États-Unis va être une ancienne playmate et le président, un homme qui valorise le manque d’éducation, qui incarne cette culture insignifiante que l’on valorise sur les ondes de MTV, de Fox News et de ces autres médias qui portent la voix de la droite. »
 
Unis contre la médiocrité
 
Désormais, le leader du monde libre, comme on nommait les États-Unis aux temps sombres des totalitarismes et des divisions idéologiques, exprime des valeurs contraires, selon lui. « En arrivant à la Maison-Blanche, Trump vient de dire aux Américains qu’il est possible de mentir, de mépriser, d’abuser, de stigmatiser, d’intimider et, malgré tout ça, de finir par devenir président. » Et cette nouvelle configuration du pouvoir mérite, dit-il, d’être condamnée et combattue.
 
« Pour défendre la démocratie, pour continuer à conserver nos libertés civiles, il faut éduquer les gens et surtout travailler pour rendre l’intelligence sexy », martèle Robert Lepage en précisant que, comme le designer d’objets Philippe Starck a réussi à faire pour un presse-agrumes, en le rendant séduisant, un designer d’idéologie doit désormais émerger et s’atteler à le faire pour le savoir, la perspective, la mémoire, la réflexion… « Il faut dire à nos jeunes que c’est cool d’avoir des idées, de la profondeur, de la densité, que c’est cool de douter, de se souvenir, de se poser des questions, d’accumuler, d’apprivoiser, de maîtriser de la connaissance…, poursuit-il. Il faut aussi que les artistes adoptent une position claire et ferme face à la médiocrité. Ils ne peuvent plus feindre la neutralité pour ne pas s’aliéner une part du public et doivent opposer à ce présent des oeuvres qui partout font l’éloge de l’intelligence. »
 
« Depuis quelques mois, je suis affligé par le peu de référence des chroniqueurs politiques américains », dit-il, dont très peu, selon lui, ont souligné la concordance entre le slogan de Trump (Make America Great Again) et celui d’Hitler qui dans sonMein Kampf, ouvrage référence des sombres desseins du Führer, appelait à redonner à l’Allemagne sa grandeur d’antan. « Les gens ne se souviennent plus, dit-il. La mémoire ne s’enseigne plus. On n’y réfère plus » et, au bout du compte, on fait se répéter l’histoire et on s’enlise.
 
Pour Robert Lepage, les États-Unis viennent de faire leur entrée dans cette nébuleuse de l’obscurantisme dans laquelle le Canada a passé 10 ans sous Stephen Harper, dit-il, avec toutefois des responsabilités mondiales que le Canada n’avait pas et qui donnent ce caractère encore plus inquiétant aux résultats du vote. Inquiétant, particulièrement, chez ceux qui, comme lui, ont vu, ont senti, ont perçu, et surtout se souviennent.

4 commentaires:

Sébastien Solstice a dit...

Très bon article. Merci

Sébastien Solstice a dit...

Ce que les gens ne savent pas, c'est qu'il y a tout un marché aujourd'hui pour l'extrême-droite et que le livre de Hitler se vend de par le monde, et il a beaucoup d'idoles aussi. Le livre de Vitkine «Mein Kampf - Histoire d'un livre» parle de ce fait étonnant: Hitler est bien vivant en 2016, et il est même adoré. Alors pas surprenant que Trump veuille se tailler une place lui aussi dans l'immortalité! Mein Kampf est le deuxième meilleur vendeur après la Bible...

Jack a dit...

En 2015, 80 millions, mais très loin tout de même derrière la Bible. http://www.senscritique.com/liste/Les_plus_grosses_ventes_de_livre_de_l_histoire/65611

Sébastien Solstice a dit...

correction: je voulais dire qu'il a plutôt beaucoup d'admirateurs (et non pas d'idoles...) :)