17 octobre 2006

Le pingouin barbare (suite)


À René Merle.

Pour faire suite à nos échanges à propos de cette chère langue de Molière bien pendue et perclue de tous les mots du monde à traduire, j'ai l'irrépressible envie de te faire parcourir, si cela te chante, cette page de journal de voyage de la dénommée Lady Guy. Cela en vaut la peine pour ajouter comme un repas principal à la titillante entrée servie plus tôt par Louis Hamelin.

Je ne connais cette littéraire que par son blogue, et encore, je suis un visiteur conquis mais vraiment peu familier de ces beaux textes autour de la vie dans les livres, de la vie tout court, publiés depuis 2003, un âge plus que respectable dans la courte existence de la bloguosphère.

Je ne te demande pas de réponse perso. Mais pour ma part, je trouve beaucoup de qualités à ce récit tiré sur le vif lors d'un voyage effectué il y a tout juste quelques jours à Paris. On y esquisse avec spontanéité les répliques des personnes rencontrées, les masques culturels de chacun dans ces univers distincts et pourtant si proches en pensée, sur papier, univers désarçonnants, surprenants qui créent l'ouverture, mais peut-être le plus souvent aussi le repli.

Les Français et les Québécois sont faits pour s'entendre comme larrons en foire, mais peuvent-ils s'écouter? Peux-tu imaginer «l'accent» raboteux qui est le mien en lisant ce texte?

À lire le texte et l'accent de LadyGuy, on entrevoie au-delà des clichés empesés ou de la fausse naïveté, cette drôle de nécessité d'apprendre la langue de l'autre à l'intérieur même de sa propre langue.

M'enfin, je n'appellerai pas Wittgenstein, ses jeux de langage polymorphe et ses formes de vies à la barre, ici, aujourd'hui. Mais il reste que pour un grand nombre de Français, les Québécois sont une espèce de barbares mal dégourdis à laquelle il fait bon rêver en sourdine.

L'inverse, le rêve du sens clair, le chatoiement de la parole sonore pour dire comme Hamelin, le sens du raffinement et de la liberté, l'audace, tout cela se peut aussi car il y a la force de la littérature, cette répulique des lettres, encore quelques films qui traversent ici, la chanson, la cuisine, la mémoire, et l'histoire... La grande, la petite. Une poétesse, correspondante autochtone, me demande aujourd'hui si j'ai des racines parisiennes? Le plus drôle est que oui, j'ai de vieilles racines transplantées par mon ancêtre Des Marets, Parisien...

Mais un agacement sifflant vient brouiller «l'accueil» dit proverbial du Québécois envers son cousin, certes moins maudit que dans les années 60, mais quand même relativement «chiant». Surtout si on nous fait l'insigne honneur de «switcher» en anglais quand nous nous adressons la parole. J'avoue que je ferais une crise si une telle chose m'arrivait.

Remarque que j'ai déjà été le témoin de pareil mépris, ici même, par un temps de canicule à ne pas traîner dans les rues. Jean-Paul et Josette venaient de débarquer en ville. Nous allâmes prendre un verre à une terrasse du Vieux-Montréal. L'accent du Sud, même pas marseillais!, donc du vrai barbare dans la bouche de Josette n'a pas eu l'air de plaire à la serveuse qui avait bien d'autres verres à fouetter. Elle s'est mise à répondre très sèchement parce qu'elle n'avait rien pigé et passa à l'anglais. C'est elle qui commandait! J'ai eu honte que cela se passe à Montréal, dans cette french lousy city. Mais je n'ai pas fait de crise!

Entre ces diverses collisions de langage, un océan de non dit s'épaissit alors qu'il y a toujours tout à dire de «la vie de l'action et de la vie» (Malherbe).

Barbare, je le dis au sens de Jean-François Malherbe qui aime bien, comme toi, je crois, faire des incursions étymologiques. Car nous avons perdu notre latin. Nous parlons une langue que nous ne comprenons plus, que nous n'entendons plus. Or le barbaros pour les anciens, était simplement celui dont on ne comprend pas la langue, celui qui bredouille.

Les Québécois bredouillent assurément. Et les vestiges du parler d'oc, les «Occidentés» aussi, apparemment.

Bonne lecture.
***




Lady à Paris - Journal de voyage 2
15 octobre 2006



Pendant notre séjour, les magazines français n’en avaient que pour la France amoindrie. Les titres : «Faut-il avoir honte d’être Français? », « Pourquoi j’aime la France » selon Jamel, «La tyrannie de la repentance » de Bruckner, «La France manque de modèles! », etc. On parle un peu avec eux et ils s’enflamment. «On est battu, cocu et content, je vous jure!!! » Que de rancœur, que de hargne, que de haine de soi! Ça fait du bien de se rendre compte qu’on n’est pas seul à souffrir de ce travers….

Devant les kiosques à journaux, Zhom et moi n’avions que ces mots à la bouche : Ben voyons! Et le fou rire qui va avec, ce qui ne faisait pas rigoler du tout le vendeur. J’avoue que je les préfère chiants à braillards, mais même dans l’auto-flagellation, les Français conservent une arrogance vraiment touchante….


Bruckner pense que, en dépit de son rayonnement incroyable à l’étranger qui perdure et de tous les touristes qu’elle attire à elle, prouvant par là que la France propose encore une image charismatique hors de ses frontières, la France souffre aujourd’hui parce qu’elle s’est toujours voulue à l’avant-garde du monde. Mais le monde n’en a que pour son passé glorieux, prouvant par là que le présent ne l’est pas. Vrai qu’on ne vient pas à Paris pour ce qu’il s’y passe aujourd’hui. Ils ont bien raison de détester les touristes dont les regards les traversent, comme s’ils n’existaient pas, pour voir avant tout le décor et ce qu’ils ont été. Ils se sentent probablement comme des locataires de leur histoire, et le loyer à payer est vraiment très cher, tout ça à cause du cachet. Ils peuvent bien rêver d’une cabane au Canada, ce pays où il reste encore tant à défricher.

Parce qu’on peut y boire et y fumer n’importe où et n’importe quand, je suis prête à tout pardonner aux Parisiens. Mais voilà, ils vont eux aussi passer à la casserole, les lois anti-tabac arrivent! Zhom et moi avons fermé Paris comme nous avons fermé le Cheval Blanc au mois de mai. Voilà un vrai signe de décadence, lorsque la France se montre aussi puritaine que l’Amérique! France, patrie de la clope, du bon vin, du vrai café dans de vrais cafés, des fromages scandaleux, des plats en sauce, du pain-baguette… Ô France, QUE DEVIENS-TU????

Il est toujours sympathique de se faire demander d’où l’on vient. C’est un signe de curiosité, parfois de politesse. À Paris, lorsqu’on est Québécois, on se le fait rappeler à chaque fois qu’on ouvre la bouche. « Vous êtes Canadiens? Eh, ça s’entend! ». L’espèce de crétin parigot inculte de l’épicerie insiste pour nous parler en anglais parce qu’à son avis, nous parlons mal français. Parler français signifiant parler comme à Paris. Les Français étant convaincus qu’ils sont les seuls à parler leur langue. Et les seuls dans la francophonie à ne comprendre aucun autre accent que le leur. D’ailleurs, il ne leur viendrait pas à l’idée de se considérer comme francophones… De vrais unilingues.

Je m’interroge sur cette obsession qu’ils ont de notre accent. Paris étant la ville la plus touristique au monde, ils sont peu surpris par les divers accents qui les assaillent chaque jour. Mais l’accent québécois leur écorche particulièrement les oreilles. Pourquoi? Est-ce le retour du refoulé? Un rappel de ce qu’ils ont été? Ce doit être curieux pour eux, probablement parce que nous n’avons pas l’air, à prime abord, d’étrangers. Aucun exotisme en apparence. Nous sommes des Blancs qui parlons français avec un accent aussi séduisant que celui du Poitou (que j’aimerais bien entendre un jour, d’ailleurs).

Mais le problème de l’accent n’est pas tout (point tout, Poitou, hou-hou-hou!). D’autres codes viennent renforcer cette impression chez les Parisiens, qui sont toujours en mode combat dans les discussions, que nous manquons d’intelligence. Chaque phrase, chaque pointe, chaque remarque est un appel à la réplique chez eux. Déstabilisé et peu exercé à ce type d’échange, le Québécois ne réplique pas, ce qui renforce son image de demeuré qui ne comprend pas le français. Lorsqu’un Parisien dit : « Vous êtes Canadiens? Eh, ça s’entend! », il s’attend à ce que vous répliquiez quelque chose. C’est sa nature et c’est à nous de le comprendre. Si vous ne dites rien d’autre que, « Heu…oui. », un ange passe, un étrange vide se crée, vous avez perdu la chance de vous faire respecter.

En ce qui me concerne, c’est le plus difficile. Je trouve épuisant cet appel constant au combat, c’est comme jouer à la « main-chaude » à longueur de journée. Alors je souris et comme une bonne catholique – selon la formule de Zhom – je tends l’autre joue. Ce qui rend les Parisiens profondément perplexes, puis, finalement, ennuyés. Vrai que c’est ennuyeux, des gens qui ne veulent pas jouer. Et je pense au Prince de Ligne, qui disait : J’ai bien mauvaise idée de l’esprit toujours tendu : c’est souvent faute de pouvoir descendre, qu’on est toujours monté si haut. Ou, mieux encore : J’aime les gens distraits; c’est une marque qu’ils ont des idées et qu’ils sont bons : car les méchants et les sots ont toujours de la présence d’esprit.

Zhom, exaspéré un soir au cinéma, a répliqué à la sempiternelle question «Vous-zéte-Canadiens? », dans son plus bel accent québécois : ÇA PARA-TU TANT QU’ÇÂ? Et ça y était. Notre interlocuteur, loin d’être décontenancé, était soudain intéressé, nous lui avions ouvert une porte, il nous a parlé du film C.R.A.Z.Y., de son rêve d’aller au Québec, de la décadence de la France, etc. Les jeunes, plus particulièrement, rêvent du Québec comme d’un nouveau départ, convaincus que la France n’a plus grand-chose à leur donner. Je crois qu’elle ne leur laisse surtout aucun espace pour rêver, le passé est trop présent.

Jusqu’au contrôle de sécurité à l’aéroport, nous n’avons pas été épargnés. Le jeune homme qui fouillait ma valise m’a traitée de cousine, imité très maladroitement l’accent québécois, et, les yeux rêveurs, m’a demandé si l’on pouvait faire du ski au Québec et chasser le caribou. D’abord découragée, j’ai finalement été émue lorsqu’il a manqué de mots pour exprimer tout ce que le Québec lui inspirait comme fantasme, presque la larme à l’oeil. «Vous ne pouvez pas savoir » a-t-il dit, le cœur sur la main, l’autre dans mes chaussettes sales, et nous étions tout à coup, malgré tout, à égalité. Quelle différence entre moi qui vient à Paris chercher ce que je ne trouve pas chez moi, et que je ne trouverai jamais parce que je le voudrais chez moi, et ce jeune homme qui ne trouvera probablement pas ce qu’il veut s’il venait chez moi le chercher? Nous sommes tous des apatrides au pays des rêves.

2 commentaires:

Anonyme a dit...

Un grand merci pour ce complément, qui pointe l'essentiel.
Que dire ? Alors, à la va vite (je reviendrai une autre fois sur ta précédente lettre, quand une très méchante crise d'arthrose voudra bien oublier mon cerveau reptilien et mon cerveau sapiens sapiens) :
Oui, je pense aussi que l'inconscient des français est à la fois fasciné et horrifié par l'accent québécois parce qu'il leur dit : "vous avez été cela, des ruraux d'ancien régime". Et en même temps, il leur ouvre une sorte d'Arcadie touristique voire migratoire...
On s'est foutu ici de l'accent corse jusqu'à ce que les bombes pètent. Personne ne s'y risquerait maintenant. Restent les autres...
Personnellement, j'ai cessé de me tarabuster avec ces questions. Ma langue maternelle est le français, je pense en français, je rêve en français... Ceci dit, mon accent tient au fait que mes cordes vocales vibrent pour une langue morte désormais. Cette langue, que j'avais entendue dans la bouche des vieux, je l'ai récupérée. Je suis donc bilingue. Mais si mon site est plein de textes miens en langue d'oc, je sais bien qu'ils ne seront jamais lus par un "locuteur naturel" de l'occitan, (ils se font rares, parce que les paysans à l' ancienne disparaissent ), parce qu'ils ne savent ni lire ni écrire cette langue. Par contre, je peux leur parler. Alors que j'ai beaucoup de mal à faire sortir mon occitan avec le militant occitaniste moyen, petit bourgeois (rien de péjoratif, j'en suis) en quête de supplément d'âme. Ça sonne faux.
Quand je vais en Catalogne, j'ai une curieuse sensation : cette langue quasi défunte en France est tout à fait en normalité officielle. Science fiction linguistique pour moi.
J'ajoute que si j'entends quelqu'un, même le plus con des touristes moyens, parler italien, j'ai envie de lui parler, parce qu'une part de moi est italienne, de par une grand mère et des tas de liens... Mais un des plus importants poètes occitans contemporains, l'italien Salvagno (rouge ouvrier des voies de chemin de fer en Piémont), qui est un ami, nous ne parlons et n'écrivons que l'occitan : il ne parle pas français et l'occitan est la langue naturelle de sa vallée. Et il la préfère à l'italien...
Plus mon amour pour toutes les langues romanes, espagnol au premier chef... Au point que pour sortir de leur structure, identique en définitive, je me risque au polynésien. Au moins là, on est ailleurs.
J'ajoute, mais est-il besoin de le dire, que je suis nul en anglais. Mais mon fils, qui travaille dans une chaine de télé française, considère comme normal de tenir des réunions en anglais...
Un mot encore, avant que je me prenne la bonne dose d'analgésique : la presse a ironisé cette semaine sur une rame de métro mise à la disposition des seuls "auteurs américains", à un moment de presse vespérale. Ainsi nos braves parisiens entassés sur les quais ont vu passer cette rame fantôme quasi vide ou l'on buvait le coup (la coupe) entre intellos... Belle métaphore, mais de quoi ?
Allez, à une autre fois
René

Christian Roy, aka Leroy a dit...

Je ne connaissais pas LadyGuy (parodie de Lady Di?) mais le texte reflète ce que nombre de Québécois ressentent en allant en France, surtout à Paris, soit l'impression que les Parisiens (car il faut les différencier des Français) souffrent d'un complexe de supériorité quant à la langue, et que notre bel accent «canadien» est là pour leur rappeler, qu'un jour, ils ont déjà parlé comme ça (surtout en Bretagne et en Normandie, mais bon). Pour un Parisien, rencontré un Québécois, c'est presque comme utiliser une machine à remonter dans le temps.

Ce qui me lpaît le plus d'aller en France, c'est de leur donner un p'tit cours d'histoire, genre «Oui oui, votre roi avait pu une cenne pour défendre son nouveau territoire fak les Anglas nous ont sacré une volée.» Le Parisien, conquis, n'a compris que dalle à mon plaidoyé de victime abandonnée au front, mais reste sous le charme de mon accent qui lui rappelle le franc-parlé de sa grand-mère rouennaise.

Mais vu qu'ils aiment le combat, à la question (ou l'affirmation, selon le Parisien) «vous êtes canadien», je rétorque systématiquement, «non, je suis québécois, veux-tu que je t'explique la différence?». Le fait de les tutoyer alors qu'on ne les connaît pas les amusent aussi.

Finalement, ils ne sont pas chiants les Parisiens, c'est de l'entertainment vraiment pas cher, dans une langue qu'on a l'avantage de comprendre.