Les cinéphiles de la place l’ignorent encore, mais ils découvriront une perle ce lundi au Festival du cinéma international en Abitibi-Témiscamingue (FCIAT) : L’empreinte, un documentaire passionnant de Carole Poliquin et Yvan Dubuc qui met en lumière l’influence durable, et occultée, de la culture autochtone dans la société québécoise.
En figure de proue, Roy Dupuis aborde un sujet qui lui est cher : celui de l’identité.« Ça remonte à Un homme et son péché [2002] quand je me préparais à jouer Alexis, le coureur des bois. Plus je progressais dans mes recherches, plus je réfléchissais à son comportement, à ses attitudes — c’est un homme qui ne tient pas en place, qui se sent mal en société et qui préfère la forêt —, et plus je me disais qu’il avait plus d’Indien que de Blanc en lui, ce personnage-là. »
Les années passèrent, puis l’acteur s’impliqua dans la Fondation Rivières et le documentaire Chercher le courant. C’est durant cette période que Roy Dupuis se lia avec différents intervenants des Premières Nations.
« Plus j’en apprenais sur eux, sur leur mode de vie, leur mode de fonctionnement social, et plus je réalisais, d’une part, que j’étais vraiment ignorant, et, d’autre part, qu’il y avait une part d’eux en nous… C’était comme une intuition. »
Pendant ce temps, les vétérans documentaristes Carole Poliquin (L’âge de la performance) et Yvan Dubuc (coréalisateur de La bête lumineuse) cogitaient eux aussi, à l’initiative de ce dernier, qui en était à se demander si l’éternelle question de l’identité québécoise ne devait pas être posée autrement. L’influence des Premières Nations se trouvait dans leur viseur.
Emballé par le projet, Roy Dupuis accepta d’être celui qui s’entretient avec les participants tels l’historien Denys Delâge, l’anthropologue Serge Bouchard, l’anthropologue Nicole O’Bomsawin, la poétesse Joséphine Bacon, ou encore la juge Louise Otis, au gré de conversations éclairantes et riches d’informations oubliées, voire sciemment rayées de l’histoire officielle de la Nouvelle-France. De la gestion des organismes communautaires au modèle social-démocrate en passant par l’intégration de la médiation dans le système judiciaire québécois, on remonte soigneusement la filière autochtone, avec effets miroir étonnants. Aussi détaillé que varié, l’argumentaire s’avère très convaincant.
Quiconque n’est pas spécialiste sera par exemple surpris d’apprendre qu’au commencement, Champlain et les siens ont fusionné avec les Premières Nations bien plus qu’on le croit, et ce, tant par la chair que par l’esprit. « Les hommes ne se faisaient pas prier pour prendre le bois. Ce mode de vie et cette liberté en ont séduit plusieurs, explique Yvan Dubuc. Les 150 premières années de la Nouvelle-France, elles ont été bien plus indiennes que catholiques. Comme l’a écrit Marie de l’Incarnation : “On fait plus facilement un Sauvage d’un Français qu’un Français d’un Sauvage”. »
À la base, ce non-antagonisme dans les rapports constitue une exception, soutient l’historien Denys Delâge, spécialiste en la matière. Selon lui, c’est la Conquête (1759-1760) qui bouleversa cette quasi-osmose.
« Après la victoire des Anglais qui avaient fait la guerre “against Frenches and Indians”, les Canadiens français craignaient en effet sans doute de subir le même sort que les Acadiens, qui eux aussi s’étaient métissés, et auraient renié cette part d’eux-mêmes, gommant tout un pan de leur mémoire, et donc de leur identité, avec le résultat que l’on sait, explique Carole Poliquin. Les théories sur les peuples dits “primitifs” commençaient alors à émerger. Les Canadiens français n’ont pas dû vouloir être associés davantage aux Premières Nations ; un réflexe de survie qui a dû être traumatisant néanmoins. »
Un héritage à embrasser
« On est très forts sur l’autodénigrement, note Yvan Dubuc. On critique beaucoup notre propension à organiser des tables de consultations, des comités parlementaires, etc. Le Québec n’a pas inventé ces procédés, mais c’est la province où l’on y recourt le plus. On parle d’une société du “consensus mou” pour tourner cette habitude en dérision, mais si on regarde du côté des Premières Nations, c’est exactement comme ça que ça fonctionne. On tient ça d’eux. »
Même chose pour la proverbiale « peur de la chicane » des Québécois et son supposé refus de débattre. « Et si c’était une qualité ?, argue Yvan Dubuc. Et si notre désir de consulter plutôt que de décréter, de rallier plutôt que d’exclure, c’était positif ? Ce mode de fonctionnement là qu’on a et qui alimente souvent le Québec-bashing, je suis convaincu que c’est un legs des autochtones, car eux ont toujours fonctionné ainsi, par la consultation et la recherche du consensus. Il faut bien que ça nous vienne de quelque part, et on ne le tient assurément pas des Français, dont on n’a rien gardé de l’approche hiérarchique du monde. »
« L’expression “On n’est pas des sauvages” qu’on a longtemps utilisée est l’illustration même d’une honte intériorisée, car ce pan caché de notre histoire nous enseigne que oui, on a été “sauvages” plus qu’on est prêts à l’admettre », estime Carole Poliquin.
« On doit non seulement assumer de nouveau cette part de nous-mêmes, mais en être fiers », plaide Yvan Dubuc, qui conclut sur une citation d’une amie abénaquise : « Le vrai peuple invisible, ce sont les Blancs qui ne voient pas l’Indien en eux. »
On aura l’occasion d’y réfléchir encore lorsque
L’empreinte sera présenté aux Rencontres internationales du documentaire de Montréal en novembre. »