Les tourniquets de Train de nuit viennent de franchir le cap des
50 000 passagers. Cela s'est produit cet après-midi à 15 h 41. Je préciserais «50 000 grosso modo» puisqu'il y a eu dans le passé des pannes interrompant le compteur et parce qu'il y a mes propres visites que je n'ai jamais été en mesure d'exclure des statistiques.
L'Hexagone me tient : le distingué 50 000e est Français (plutôt que Française, c'est mon hypothèse), il est de Septèmes-les-Vallons dans La Bouche du Rhone, près de Marseille et il recherchait des informations sur une dénommée Eva de LaRue. Probablement nue. Or, il tomba, probablement de haut, sur un texte qui parle de « ma tante Éva de la rue Nicolet »!
C'est drôle comment les recherches sur la gogoune, poule aux cent têtes chercheuses, aboutissent parfois à des retailles de cadavres exquis.
Ma tante Éva a de quoi décevoir pareil visiteur. Mais c'est bien plus salé choux blancs encore lorsque les recherches, parmi les plus populaires sur Train de nuit, portent sur les énoncés tels que : «Elle se laisse caresser dans le train», ou «Belles filles de 20 ans », ou encore «Huiles essentielles pour la bandaison». Ce dernier point m'intéresserait peut-être.
Celle-là qui advient régulièrement m'attriste à chaque fois : «Poème sur le cancer». Je n'ai jamais écrit de poème sur le cancer. Mais j'ai probablement cité un passage de la revue Steak Haché qui — grosso modo — disait que la poésie est...
On n'y peut rien, c'est la liberté emmêlée à la libido. Et moi, ici, j'écris librement.
Pendant des semaines, au début, il y avait à peine cinq visites par jour. Je n'en écrivais pas moins avec autant d'ardeur et de passion que s'il en eut 500. À présent, ça tourne autour de 50 lecteurs en moyenne. C'est le fun.
Je sais bien, cent fois, cent fois, c'est pas beaucoup, avec des poèmes d'amour en rondins durcis qui débouleraient dans le crâne comme des cordées de bois saupoudré de bran de scie humide et des restes de peaux d'écorces perdues, fendues, affouillées, griffées par les bêtes, gravées au canif ou à la pierre mauve, jargon de galets de nuit dans la chair de l'écho, cascadeurs en canot, entailles de sexes de lynx je t'aime, je t'aime Perdrix au grand X, envolée, noircie à la main sur l'arbre qui cache la forêt des mots, ces échardes, ces yeux en forme de lune qui ne se couchent jamais, ces pensées, ces gorgées de Miller ou de Don Fante — j'ai adoré à la planche Les anges n'ont rien dans les poches (tr notable de Léon Mercadet, Robert Laffont,1996), livre qui m'a été donné il y a deux siècles par Onassis après qu'il eut viré la ville à l'envers pour mettre la main sur un exemplaire —, je sais bien, dis-je, qu'on peut doper les stats à coups de scats en bas de la ceinture. Après tout, on fait aussi dans le jazz à Train de nuit!
Très bien. Je gage que ça va déjà gonfler un peu avec l'expression «Sucette dans le cou»!
Qui vivra cochon...non!
Qui vivra verra!
Rien à voir.
J'écris pour ne pas trop délirer.
«Ce que je cherche à dire, c'est qu'il existe un endroit, au-delà de la volonté et de l'angoisse, où les valeurs et les exigences de la vie quotidienne disparaissent. Où seule compte de survivre, moment après moment, pour éviter la dépression. »
Don Fante, Les anges n'ont rien dans les poches, p. 9.
Photo : jd.