Georges Leroux est être d'exception, un géant de l'écriture et de la pensée qui a formé plusieurs générations d'étudiants qui lui vouent amour et admiration. Il fut l'un de mes maîtres en philosophie qui m'a le plus marqué. C'est une grande chance que nous avons de pouvoir le suivre à la radio, à
Relations, au
Devoir...
On le retrouve ici dans un e
ntretien diffusé le 28 février 2017 à l'émission littéraire Plus on est de fous, plus on lit.
« Les murs, la répression ne sont pas la solution. La solution, c'est l'entraide mondiale. [...] Dans ce monde sombre, le travail des intellectuels est de soutenir la démocratie et de faire voir le plus possible aux citoyens de chaque pays qu'elle défend toujours mieux leurs intérêts que l'oligarchie ou les pouvoirs secrets et occultes. » Georges Leroux, professeur émérite en philosophie, nous accorde une heure de son temps pendant laquelle il nous fait part de sa vision éclairante du monde.
Comment êtes-vous devenu lecteur?
Naturellement. Je ne me souviens pas d’y avoir réfléchi ou d’y avoir été incité. J’ai toujours eu une passion quasi matérielle, physique pour les livres. Je les ai collectionnés très jeune. Je suis entré dans Robinson Crusoé et dans les romans de Jules Verne comme on part en voyage.
Y a-t-il un livre que vos parents cachaient?
Mes parents ne cachaient rien. Au contraire, ils ne cessaient de proposer des lectures, surtout ma mère, qui lisait beaucoup. Je n’ai pas de souvenir d’interdits, même au collège, où j’ai eu des professeurs attirés par la marge et désireux de la faire découvrir. Mon père avait parfois des doutes sur mes lectures de collégien, mais il m’encourageait en me donnant toujours de petits montants pour aller en librairie, chez Tranquille, par exemple.Pour écouter la première portion de l'entrevue que Georges Leroux nous a accordée, où il revient notamment sur son enfance, sa jeunesse et sa carrière,
cliquez ICI
Quelle lecture a contribué à votre éducation sentimentale ou amoureuse?
J’hésite entre la réponse classique et une réponse plus directe. J’ai été bouleversé en 1968 parBelle du Seigneur, d’Albert Cohen, que m’avait donné à lire ma mère, et dont j’ai retrouvé l’inspiration dans les pièces Le soulier de satin et Partage de midi de Paul Claudel. C’est l’histoire d’un amour parfait, mais impossible, et qui devient une tragédie. Aussi, je ne peux pas me détacher du romanJustine, de Lawrence Durrell, archétype de la femme mystère et énigmatique. Quand je suis allé à Alexandrie, j’ai voulu loger au Cecil, où Durrell avait écrit ce roman. Henry Miller a aussi joué un rôle dans mon éducation sentimentale.
Quel livre vous a le plus troublé?
Sans aucun doute Mémoires d’Hadrien de Marguerite Yourcenar. Nous connaissons l’ampleur de la recherche qui a rendu possible cette plongée dans le passé de l’Empire romain. Le fait d'accéder à quelqu’un que j’ai reconnu immédiatement, en particulier dans son rêve de connaître la différence, me semblait un miracle.
Quel personnage de fiction aimeriez-vous rencontrer?
Le prince Muichkine, dans L’idiot de Fiodor Dostoïevski. Il a 27 ans et sombre dans la folie pour ne pas voir la médiocrité et le mal qui l’entourent.
Avez-vous un plaisir de lecture coupable?
Non. Chacun choisit son chemin et la seule culpabilité est celle de perdre son temps. Quand on a saisi le caractère d’urgence du seul fait de lire (contre l’occupation, contre le divertissement, etc.), on est amené à comprendre que le seul danger est de se dissiper.
Si vous pouviez rencontrer n’importe quel auteur, lequel choisiriez-vous?
Du côté des vivants, j’aimerais rencontrer Orhan Pamuk. Du côté des morts, j’aimerais rencontrer Saint Augustin, Victor Segalen et Hannah Arendt.
Quelle est la phrase qui vous aide à vivre?
Une maxime de Guillaume d’Orange, qu’aimait citer mon maître Raymond Klibansky : « Il n’est pas nécessaire d’espérer pour entreprendre ni de réussir pour persévérer. »
Quel mot définit notre époque?
Pour le regard sur le bien, je dirais que ce sont les mots « nature », « planète », « monde » : c'est l'émergence constante et déterminée du souci écologique (oikos, maison commune), de l'amour du monde, seul appui pour la justice et contre l’inégalité et le dépassement de l’égoïsme. Pour le regard sur le mal, je dirais « divertissement », c'est-à-dire le fait de toujours être ailleurs, dans l’image, dans la représentation, dans la fiction, dans l’irréel.
Quelle est la plus belle rencontre de votre vie?
Pour ma vie, c’est ma femme, Michelle, et mes trois enfants. Pour ma formation, mes études, etc., c’est mon professeur de grec, le jésuite Raymond Bourgault. Il est toujours près de moi. C’est lui qui nous a mariés.
De quoi ne parle-t-on pas assez?
De l’importance de la culture, de l’éducation à la culture, pour faire rempart à l’invasion du divertissement.
Quel talent auriez-vous aimé avoir?
J’ai écrit un livre entier sur mon identification au pianiste et compositeur Glenn Gould. Je ne dis pas que j’aurais aimé être lui – je le suis déjà assez –, mais j’aurais aimé avoir son talent, comme prendre n’importe quelle partition de Bach et foncer.
Qu’est-ce qui vous permet d’avoir confiance en l’avenir?
Cette confiance est difficile, mais mes enfants et petits-enfants ouvrent le chemin. La jeunesse invente chaque jour des solutions politiques et techniques. Regardez Gabriel Nadeau-Dubois! Cessons de poser la question, il y en a qui se retroussent les manches.
Quels pays ou régions du monde vous inquiètent?
Le cœur névralgique du monde : Israël et la Palestine. Tout le reste en dépend.
Quels pays ou régions du monde vous inspirent?
La Grèce, pour sa résistance, son peuple et son lyrisme éternel. Mais peut-elle encore jouer son rôle, promouvoir la raison, alors qu’elle est par terre?
De quoi le monde a-t-il besoin en ce moment?
De dialogue en vue de la paix. De relire Nicolas de Cues.
Comment souhaiteriez-vous que l'on se souvienne de vous?
Comme je me souviens de mon père : d’un homme simple et généreux, avec le mot un peu désuet, dévoué.