À même les nuages qui grimacent,
l'automne ravale sa dernière poignée de somnifères
crachotant ici et là froid de brume
sur la rouille échevelée de la forêt supervirente
Les araignées grattent le fond de l’air
sur les contrebasses de l’invisible
Une perdrix vermiculée en statue de glaise grise,
dessoudée de son amour,
pour ne pas abîmer le désir, la survie plutôt
attend interdite sous les cèdres qui dégoulinent
Elle percole du cryptique sur le sol granuleux,
des graffitis, des espèces de soucis pulvérulents,
des zigzags en beurrées de cafouillis
pour les fourmis savantes en service jusqu’à la tombée
Avec sa queue fanée, en berne
fardeau inutile, jeûne sans apparats,
loin de la prairie qui l’a vu naître,
dans cette savane sombre,
tatouée de traces de guerriers,
elle traverse le qui-vive
en attendant le mauvais quart d’heure
Le cœur se débat
plus vite que le temps accroché
au sort qui en est jeté
Car l’ombre barbare émerge,
croasse de corneilles épluchées
dans la tranchée où barbotent
les portes du ciel fermées
Silence des mulots dans leur débarras,
prudence des grenouilles gelées
qui se regloupent au fond de l’étang
pendant que le chien braque au regard doré
renifle à travers les feuilles en tas,
bécassier idéal à la robe tachetée...
Mon Dieu que la veine de ce jour est noire!
Dans la filature du bois mauve
le moindre craquement broie les ailes
La prisonnière sur les épines
tourne un oeil, glisse une patte...
Le bon boubou, vandale à l’affût
gavé comme un professionnel,
se brasse le cul, décode les nœuds
Son museau est un mille-pattes
qui allume les idées,
charrie dans la piste un fleuve de bave
La petite poulie de nerfs
décoche un fil qui calcule ses chances
ô courant d’air par le chas de l’aiguille
ne fais pas dans la dentelle! Ne m’oublie pas!
Vole vole donc vole donc vole donc
Vole! jusqu’à la cime de la pruche noire
d’où l’on peut mesurer la mer de liberté,
la césure, le monde,
l’horizon clair transfiguré
au-delà des forces de vie et de mort
Crever le toit comme un jaune d'oeuf
serait alors un jeu d’enfant
plus loin, plus vite, plus haut
que les clous du chasseur
sachant chasser avec son chien chinois
le pourchasseur sachant pourlécher
s’agenouille dans les fougères mouillées
pour reprendre son souffle d’argent
Mais la perdrix, joli gibier de folklore
et son oeil et sa poitrine brunâtre
ne sont-ils pas déjà parfaitement affûtés
dans la chaîne de la babine?
Mais quelle terre du Sud ou du Nord
voudra accorder asile
à une perdrioche anonyme qui s’exile,
qui n’est certes pas une zibeline,
qui n’est pas aussi huppée que la gélinotte,
n’a pas énormément de gernigoine?
C’est comme la paume des poètes
C’est pauvre pour bâtir maison!
On voudrait tant qu’elle tambourine
raide à travers les branches
par le chemin secret
qui mène au bleu vivant
On vaudrait qu’elle s’enjôle de sa sauvagerie
qu’elle se fasse gicler de l’indomptable
qu’elle tambourine enfin
en se levant d’un coup sec
comme l'esprit dans le sable
crinqué par le vent!
Et que rien ne revole
pas une seule goutte de sang!
On voudrait que dans la poussière de pierre et d’os venue,
le chasseur impénitent, manitou, se fasse Riopelle ou Perrault
habité par le vent, les banquises, l’enfance et le blanc, l’encre et le tout nu,
qu’il puisse, s’il le faut, dégrafer la bête avec la bouche
comme la truite sortie du ruisseau par l’hameçon
paraphrasés par le miracle, la bête et l’homme et le fanal
dévoilant les rivages qui se superposent,
ces galets infinis de leur mémoire abracadabrante,
marchent ensemble au coeur des quenouilles...
On voudrait tant qu’elle bardasse les mauvaises herbes,
qu’elle brise les verbes de roches sur le tas de langues
qu’elle s’infiltre dans la prison de nos têtes pendantes,
ces foutus mécanos qui chassent jour et nuit!
L’automne plaqué or coupant court
remballe son tam-tam, son
confiteor,
ses fausses vendanges, ses foulards tricotés de récoltes
dans les petits casseaux évanescents,
ses boutonnières de cannelle de pot sous le manteau,
ces boisseaux de mots crochis, cruels
sa mise à mort si lente
Une petite pluie fine inaudible dans le val
telle une fable dans l’oubli
désosse maître et chien
sur le pas de porte de la nuit faite
Il peut venter, grêler, faire tous les temps,
comme dit la chanson,
une rescapée gris roux aux yeux étoilés
se berce sur le plus haut balcon
d’une pruche incandescente
Et le bon chien fidèle revenu bredouille
se déruche l’aventure dans son ventre raccommodé
pendant que son maître en pantoufle d'hiver
regarde un film bien ordinaire à la télévision.
Photo :
FindNature